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d’avoir fait si peu de progrès dans mon estime et dans ma confiance. à l’égard de ma réputation, il me devait de la sincérité ; elle ne pouvait être aussi blessée de la moitié, par la démarche qui me causait tant de regret, que par mon emprisonnement, et par l’injuste et folle persécution que j’avais essuyée de la part de mes proches. C’était le sujet public des entretiens. Le blâme tombait particulièrement sur mon frère et ma sœur, et l’on ne parlait de ma patience qu’avec admiration. Il devait me répéter ce qu’il croyait m’avoir écrit plusieurs fois, que mes amis s’attendaient eux-mêmes à me voir saisir quelque occasion de me délivrer de leurs violences ; sans quoi, auraient-ils jamais pensé à me renfermer ? Mais il n’était pas moins persuadé que l’opinion établie de mon caractère l’emporterait sur leur malice, dans l’esprit de ceux qui me connaissaient, qui connaissaient les motifs de mon frère et de ma sœur, et qui connaissaient le misérable auquel ils voulaient me donner malgré moi. Si je manquais d’habits, qui s’attendait que dans les circonstances, j’en pusse avoir d’autres que ceux dont j’étais couverte au moment de mon départ ? Toutes les dames de sa famille feraient gloire de fournir à mes besoins présens ; et pour l’avenir, les plus riches étoffes, non-seulement d’Angleterre, mais du monde entier, seraient à ma disposition. Si je manquais d’argent, comme on devait se l’imaginer aussi, n’était-il pas en état de m’en offrir ? Plût au ciel que je lui permisse d’espérer que nos intérêts de fortune seront bientôt unis ! Il tenait un billet de banque, que je n’avais pas remarqué dans ses mains, et qu’il eut l’adresse alors de glisser dans les miennes : mais jugez avec quelle chaleur je le refusai. Sa douleur, me dit-il, était inexprimable, comme sa surprise, de s’entendre accuser d’artifice. Il était venu à la porte du jardin, suivant mes ordres confirmés, (le misérable ! Me faire ce reproche !) pour me délivrer de mes persécuteurs, fort éloigné de croire que j’eusse pu changer de sentiment, et qu’il eût besoin de tant d’efforts pour vaincre mes difficultés. Je m’imaginais peut-être que le dessein qu’il avait marqué d’entrer au jardin avec moi, et de se présenter à ma famille, n’avait été qu’une comédie ; mais je lui faisais une injustice si j’en avais cette opinion. Actuellement même, à la vue de mon excessive tristesse, il regrettait que je ne lui eusse pas permis de m’accompagner au jardin. Sa maxime avait toujours été de braver les dangers dont on le menaçoit. Ceux qui s’épuisent en menaces ne sont pas les plus redoutables dans l’occasion. Mais eût-il dû s’attendre à périr par l’assassinat, ou à recevoir autant de coups mortels qu’il aurait trouvé d’ennemis dans ma famille, le désespoir où je l’aurais jeté par mon retour l’aurait porté à me suivre jusqu’au château. Ainsi, ma chère, tout ce qui me reste est de gémir sur mon imprudence, et de me reconnaître inexcusable d’avoir accordé cette malheureuse entrevue à un esprit si audacieux et si déterminé. Je doute peu, à présent, qu’il n’eût trouvé quelque moyen de m’enlever, si j’avais consenti à lui parler le soir, comme je me reproche d’en avoir eu deux fois la pensée. Mon malheur aurait encore été plus terrible. Il ajouta néanmoins, en finissant ce discours, que, si je l’avais mis dans la nécessité de me suivre au château, il se flattait que la conduite qu’il aurait tenue aurait satisfait tout le monde, et lui aurait procuré la permission de renouveler ses visites. Il