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dans la chambre où je devais passer la nuit. L’hôtesse m’ayant accompagnée, il s’approcha de moi respectueusement, mais avec une politesse qui n’excédait pas celle d’un frère, dans les lieux du moins où les frères sont polis. Il me nomma sa chère sœur. Il me demanda comment je me trouvais, et si j’étais disposée à lui pardonner, en m’assurant que jamais un frère n’avait eu pour sa sœur la moitié de l’affection qu’il avait pour moi. Le misérable ! Qu’il lui en coûtait peu pour soutenir naturellement ce caractère, tandis que j’étais si violemment hors du mien ! Une femme qui n’est pas capable de réflexions, trouve quelque soulagement dans la petitesse même de ses vues. Elle ne sort point du tourbillon qui l’environne. Elle ne voit rien au-delà du présent. En un mot, elle ne pense point. Mais, accoutumée, comme je le suis, à méditer, à jeter les yeux devant moi, à peser les vraisemblances, et jusqu’aux possibilités, quel soulagement puis-je tirer de mes réflexions ? Il faut que je trace ici quelque détail de notre conversation pendant le temps qui précéda et qui suivit notre souper. Aussi-tôt qu’il se vit seul avec moi, il me supplia, du ton à la vérité le plus tendre et le plus respectueux, de me réconcilier un peu avec moi-même et avec lui. Il me répéta tous les vœux d’honneur et de tendresse qu’il m’avait jamais faits. Il me promit de ne plus connaître d’autres loix que mes volontés. Il me demanda la permission de me proposer si je voulais me rendre le lendemain chez l’une ou l’autre de ses tantes. Je demeurai en silence. J’ignorais également, et ce que je devais faire, et comment je devais lui répondre. Il continua de me demander si j’aimais mieux prendre un logement particulier dans le voisinage de ces deux dames, comme j’en avais eu l’intention ? Mon silence fut le même. Si je n’avais pas plus de penchant pour quelque terre de Milord M, celle de Berkshire, ou celle du comté où nous étions ? Tout lieu me sera égal, lui dis-je enfin, pourvu que vous n’y soyiez pas. Il s’était engagé, me répondit-il, à s’éloigner de moi lorsque je serais à couvert des poursuites, et cette promesse était un lien sacré. Mais si j’étais indifférente en effet pour le lieu, Londres lui paroissait la plus sûre de toutes les retraites. Les dames de sa famille ne manqueraient pas de s’y rendre, aussi-tôt que je serais disposée à les recevoir. Sa cousine Charlotte Montaigu s’attacherait particulièrement à moi, et deviendrait ma compagne inséparable. Je serais toujours libre, d’ailleurs, de revenir chez sa tante Lawrance, qui se croirait trop heureuse de me voir près d’elle : il la nommait plus volontiers que sa tante Sadleir, qui était une femme assez mélancolique. Je lui dis que sur le champ, et dans l’équipage où j’étais, sans espérance d’en pouvoir si tôt changer, je ne souhaitais pas de paraître aux yeux de sa famille ; que ma réputation demandait absolument qu’il s’éloignât ; qu’un logement particulier, le plus simple, et par conséquent le moins suspect, parce qu’on ne pourrait me croire partie avec lui, sans supposer qu’il m’aurait procuré des commodités en abondance, était le plus convenable à mon humeur et à ma situation ; que la campagne me semblait propre pour ma retraite, la ville pour la sienne ; et qu’on ne pouvait savoir trop tôt qu’il fût à Londres.