Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/392

Cette page n’a pas encore été corrigée

Mais prêtez bien l’oreille à ce cri, parce qu’il ne doit pas être trop fort, de peur qu’il ne soit reconnu pour un signal. Peut-être qu’en m’efforçant de persuader ma chère compagne, j’aurai l’occasion de frapper du coude ou du talon contre les ais pour vous confirmer l’avis. Alors vous ferez beaucoup de fracas, comme si vous vouliez ouvrir ; vous agiterez fortement le verrou, vous donnerez du genou contre la porte, pour faire croire que vous voulez l’enfoncer ; ensuite donnant un autre coup, mais avec plus de bruit que de force, dans la crainte de faire sauter la serrure, vous vous mettrez à crier, comme si vous voyiez paroître quelqu’un de la famille ; à moi, vîte à moi, les voici, les voici, vîte, vîte ; et mêlez-y les noms d’épées, de pistolets, de fusils, du ton le plus terrible que vous pourrez. Je l’engagerai sans doute alors, quand elle serait encore incertaine, à fuir promptement avec moi. S’il m’est impossible de la déterminer, ma résolution est d’entrer dans le jardin avec elle, et d’aller jusqu’au château, quelles qu’en puissent être les suites. Mais, dans la frayeur que vous lui causerez, je ne doute pas qu’elle ne prenne le parti de fuir. Lorsque vous nous croirez assez éloignés, et que, pour vous le faire connaître, j’élèverai la voix en pressant sa fuite, alors ouvrez la porte avec votre clé ; mais il faut l’ouvrir avec beaucoup de précautions, de peur que nous ne fussions pas encore assez loin. Je ne voudrais pas qu’elle s’aperçût de la part que vous aurez à cette petite entreprise, par la considération extrême que j’ai pour vous. Aussi-tôt que vous aurez ouvert la porte, ôtez-en votre clé, et remettez-la dans votre poche. Vous prendrez alors la mienne que vous mettrez dans la serrure, du côté du jardin, afin qu’il paroisse que c’est elle-même qui aura ouvert, avec une clef qu’on supposera que je lui ai procurée, et que nous ne nous sommes pas embarrassés de fermer la porte. On conclura qu’elle sera partie volontairement ; et dans cette pensée, qui fera perdre toute espérance, on ne se hâtera point de nous poursuivre. Autrement, vous savez qu’il pourrait arriver de fort grands malheurs. Mais faites bien attention que vous ne devez ouvrir la porte avec votre clé, que dans la supposition que nous ne soyons interrompus par l’arrivée de personne. Si quelqu’un paroissait, il ne faudrait pas ouvrir du tout. Qu’ils ouvrent eux-mêmes, si cette envie leur prend, soit en brisant la porte, soit avec ma clé, qu’ils trouveront à terre, s’ils veulent prendre la peine de passer par-dessus le mur. S’ils ne viennent pas nous interrompre, et si vous sortez par le moyen de votre clé, suivez-nous à une juste distance, en levant les mains, avec d’autres gestes de colère et d’impatience, tantôt avançant, tantôt retournant sur vos pas, de peur que vous n’approchiez trop de nous ; mais comme si vous apperceviez quelqu’un qui accourt après vous, criez : au secours, vîte ; n’épargnez pas les cris. Nous ne serons pas long-temps à nous rendre au carrosse. Dites à la famille, que vous m’avez vu entrer avec elle dans une voiture à six chevaux, escorté d’une douzaine de cavaliers bien armés, quelques-uns le mousqueton à la main, autant que vous en avez pu juger ; et que nous avons pris un chemin tout opposé à celui que vous nous verrez prendre. Vous voyez, honnête Joseph, avec quel soin je veux éviter les fâcheux accidens.