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pas convenu de prescrire à Madame et à Miss Howe de qui elles devaient recevoir des visites. Madame Howe se faisait un amusement du ton de plaisanterie qui régnait entre sa fille et lui. Je n’avais aucune raison de leur reprocher que les visites qu’elles recevaient de lui me fussent adressées, et c’est ce que j’aurais paru faire, si j’avais refusé de leur tenir compagnie, lorsqu’il était avec elles. Je ne l’avais jamais vu hors de leur présence ; et je lui avais déclaré une fois, lorsqu’il m’avait demandé quelques momens d’entretien particulier, qu’à moins qu’il ne fût réconcilié avec ma famille, il ne devait pas s’attendre que je souffrisse ses visites, bien moins encore que je consentisse à ce qu’il désiroit.

Je leur dis de plus, que Miss Howe, entrant parfaitement dans mes intentions, ne m’avait jamais quittée un moment tandis qu’il était chez elle ; que, lorsqu’il y venait, si je n’étais pas déjà dans la salle, je ne souffrais pas qu’on m’appelât pour lui ; mais que j’aurais regardé comme une affectation, dont il aurait cru pouvoir tirer quelque avantage, de me retirer lorsqu’il arrivait, ou de m’obstiner à ne pas paraître, lorsque sa visite durait long-temps.

Mon frère m’écoutait avec une sorte d’impatience, à laquelle il était aisé de connaître qu’il voulait me trouver coupable, avec quelque force que je pusse me justifier. Les autres, autant que j’en puis juger par l’évènement, auraient été satisfaits de mes explications, s’ils n’avoient pas eu besoin de m’intimider pour me vaincre sur d’autres points. Ce qu’il en faut conclure, c’est qu’ils ne s’attendaient point de ma part à une complaisance volontaire. C’était une confession tacite de ce qu’il y avait de révoltant dans la personne qu’ils avoient à me proposer. Je n’eus pas plutôt cessé de parler, que, sans être retenue par la présence de mon père ni par ses regards, mon frère jura que, pour lui, jamais il ne voulait entendre parler de réconciliation avec ce libertin, et qu’il me renoncerait pour sa sœur si j’encourageais les espérances d’un homme si odieux à toute la famille. Un homme qui a failli d’être le meurtrier de mon frère ! Interrompit ma sœur, avec un visage tendu, de la contrainte même qu’elle faisait à sa passion. La pauvre Bella , comme vous savez, a le visage potelé, et un peu surnourri , si je puis employer cette expression. Je suis sûre que vous me pardonnerez plus facilement un langage si libre, que je ne me le pardonne à moi-même. Mais qui pourrait être assez reptile , pour ne pas du moins se tourner lorsqu’il est foulé aux pieds ?

Mon père, dont vous savez que la voix est terrible lorsqu’il est en colère, me dit avec une action et un ton d’une égale violence, qu’on m’avait traitée avec trop d’indulgence, en me laissant la liberté de refuser ce parti et les autres ; et que c’était à présent son tour à se faire obéir. C’est la vérité, ajouta ma mère, et j’espère que vous ne trouverez point d’opposition à vos volontés de la part d’un enfant si favorisé. Pour faire connaître qu’ils étoient tous du même sentiment, mon oncle Jules dit qu’il était persuadé que sa nièce bien aimée n’avait besoin que de savoir la volonté de son père pour s’y conformer, et mon oncle Antonin, dans son langage un peu plus rude, qu’il ne me croyait pas capable de leur donner raison d’appréhender que la faveur qui m’avait été accordée par mon grand-père, me fît aspirer à l’indépendance ; qu’au reste, si c’était mon idée, il voulait bien m’apprendre que le testament pouvait être cassé, et qu’il le seroit.

Je demeurai dans un étonnement tel que vous pouvez vous l’imaginer. De