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lui et moi nous avions regardé ce mercredi avec plus de frayeur qu’il ne convenoit. J’allais continuer de lui expliquer mes raisons ; mais, se hâtant de m’interrompre : si j’avais, me dit-il, la moindre probabilité, une ombre d’espérance pour l’évènement de mercredi, vous ne me trouveriez que de l’obéissance et de la résignation. Mais la dispense est obtenue. Le ministre est averti : c’est ce pédant de Brandt qui s’est offert. ô chère et prudente Clarisse ! Ces préparatifs ne vous annoncent-ils donc qu’une épreuve ? Quand on se proposerait les extrémités les plus terribles, vous savez, monsieur, que toute foible que je suis, je ne suis pas incapable de fermeté. Vous savez quel est mon courage et comment je sais résister, lorsque je me crois persécutée avec bassesse ou maltraitée sans raison. Oubliez-vous ce que j’ai déjà souffert, ce que j’ai eu la force de soutenir, parce que j’attribue tous mes malheurs à des instigations peu fraternelles ? Je dois tout attendre, mademoiselle, de la noblesse d’une ame qui méprise la contrainte. Mais les forces peuvent vous manquer. Que ne doit-on pas craindre d’un père inflexible qui entreprend de subjuguer une fille si respectueuse ? Un évanouissement ne vous sauvera pas ; et peut-être ne seront-ils pas fâchés de cet effet de leur barbarie. à quoi vous serviront les plaintes après la célébration ? L’horrible coup ne sera-t-il pas porté, et toutes les suites, dont la seule idée met mon cœur à la torture, ne deviendront-elles pas nécessaires ? à quel tribunal appellerez-vous ? Qui prêtera l’oreille à vos réclamations contre un engagement qui n’aura pas eu d’autres témoins que ceux qui vous y ont forcée, et qui seront reconnus pour vos plus proches parens ? J’étais sûre, lui dis-je, de me procurer du moins un délai. J’avais plus d’un moyen pour l’obtenir. Mais rien ne pouvait nous devenir plus fatal à tous deux, que d’être surpris dans un entretien si libre. Cette crainte m’agitait mortellement. Il m’était impossible de bien expliquer ses intentions, s’il cherchait à me retenir plus long-temps ; et la liberté de me retirer lui donnerait des droits certains sur ma reconnaissance. Alors, s’étant approché lui-même de la porte pour l’ouvrir et me laisser entrer dans le jardin, il fit un mouvement extraordinaire, comme s’il eût entendu quelqu’un de l’autre côté du mur ; et portant la main sur son épée, il s’efforça quelque temps de regarder au travers de la serrure. Je devins si tremblante, que je me crus prête à tomber à ses pieds. Mais il me rassura aussi-tôt. Il avait cru, me dit-il, entendre quelque bruit derrière le mur : c’était, sans doute, l’effet de son inquiétude pour mon repos et ma sûreté ; un véritable bruit aurait été bien plus fort. Ensuite il me présenta civilement la clé ; si vous êtes déterminée, mademoiselle… cependant je ne puis et je ne dois pas vous laisser rentrer seule. Il faut que votre retour soit sans danger. Pardon ; mais je ne puis me dispenser d’entrer avec vous. Eh quoi ! Monsieur, seriez-vous assez peu généreux pour vouloir tirer avantage de mes craintes, et du désir que j’ai de prévenir de nouveaux malheurs ? Folle que je suis, de m’occuper de la satisfaction de tout le monde, tandis que personne ne pense à la mienne ! Très-chère Clarisse ! Interrompit-il, en retenant ma main lorsque je portais la clé à la serrure, c’est moi-même qui vais ouvrir la porte, si