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C’est à moi, monsieur, qu’appartient le jugement de mes propres intérêts. Vous qui blâmez la violence de mes amis, n’en exercez vous pas une ici contre moi ? Je ne le souffrirai pas. Vos instances augmentent ma répugnance et mes craintes : je veux me retirer ; je le veux, avant qu’il soit plus tard. Laissez-moi : comment osez-vous employer la force ? Est-ce là le fond que je dois faire sur cette soumission, sans réserve, à laquelle vous vous êtes engagé par tant de sermens ? Quittez ma main tout-à-l’heure, ou je vais me procurer du secours par mes cris. Je vous obéis, ma très-chère Clarisse ; et laissant ma main libre, il retira la sienne avec un regard plein d’une si tendre résignation, que, connaissant la violence de son caractère, je ne pus me défendre d’en être un peu touchée. Cependant je me retirais, lorsque d’un œil sombre, ayant jeté un coup d’œil sur son épée, mais se hâtant en quelque sorte d’en écarter sa main, il plia les deux bras sur sa poitrine, comme si quelque réflexion subite l’eût fait revenir d’une idée téméraire. Arrêtez un moment, cher objet de toute ma tendresse ! Je ne vous demande qu’un moment. Votre retraite est libre ; elle est sûre, si vous êtes résolue de rentrer. Ne voyez-vous pas que la clé est demeurée au pied de la porte ? Mais songez que mercredi vous êtes Madame Solmes… ne me fuyez pas avec cet empressement ! écoutez quelques mots qui me restent à vous dire. Je ne fis pas difficulté de m’arrêter, lorsque je fus à la porte du jardin, d’autant plus tranquille que je voyais effectivement la clé, dont je pouvais me servir librement. Mais, commençant à craindre d’être observée, je lui dis que je ne pouvais demeurer plus long-temps ; que je m’étais déjà trop arrêtée ; que je lui expliquerais toutes mes raisons par écrit : et, comptez sur ma parole, ajoutais-je au moment que j’allais prendre la clé pour ouvrir ; je mourrai plutôt que d’être à M Solmes. Vous savez ce que je vous ai promis, si je me trouve en danger. Un mot, mademoiselle, hélas ! Un seul mot, en s’approchant de moi, les bras toujours pliés, pour me persuader apparemment qu’il n’avait aucun dessein dont je dusse être alarmée. Rappelez-vous seulement que je suis venu ici avec votre participation, pour vous délivrer, au péril de ma vie, de vos geoliers et de vos persécuteurs ; dans la résolution, le ciel m’en est témoin, ou puisse-t-il m’abymer à vos yeux ! De vous tenir lieu de père, d’oncle, de frère ; et dans l’humble espérance de joindre tous ces titres à celui de mari, en abandonnant à vous-même le choix du temps et des conditions. Mais puisque je vous trouve si disposée à crier au secours contre moi, c’est-à-dire, à m’exposer aux fureurs de votre famille entière, je suis content d’en courir tous les risques. Je ne vous demande plus de partir avec moi, je veux vous accompagner dans le jardin : et jusqu’au château, si je ne trouve pas d’obstacle sur la route. Que cette résolution ne vous étonne pas, mademoiselle ; j’irai avec vous au-devant du secours que vous auriez voulu vous procurer. Je leur ferai face à tous ; mais sans aucun dessein de vengeance, s’ils ne poussent pas l’insulte trop loin. Vous verrez ce que je suis capable de souffrir pour vous : et nous essayerons tous deux si les plaintes, les instances et les procédés de l’honneur, peuvent m’attirer le traitement auquel j’ai droit de la part des honnêtes gens. S’il m’avait menacée de tourner son épée contre lui-même, je n’aurais