Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/38

Cette page n’a pas encore été corrigée


L’accueil qu’on m’a fait après une absence de trois semaines, si différent de celui que j’étais accoutumée de recevoir après les moindres absences, ne m’a que trop convaincue que je devais payer cher le bonheur que j’ai goûté dans la compagnie et la conversation de ma chère amie, pendant cet agréable intervalle. Apprenez-en les circonstances.

Mon frère vint au devant de moi jusqu’à la porte, et me donna la main pour descendre du carrosse. Il me fit une profonde révérence. Je vous prie, miss, faites-moi la grace… je le crus dans un accès de bonne humeur ; mais je reconnus ensuite que c’était un respect ironique. Il me conduisit ainsi avec des cérémonies affectées, tandis que, suivant le mouvement de mon cœur, je m’informais en chemin de la santé de tout le monde, comme si je n’eusse pas touché au moment de les voir tous ; nous entrâmes dans la grande salle, où je trouvai mon père, ma mère, mes deux oncles et ma sœur. En entrant, je fus frappée de voir, sur le visage de mes plus chers parens, un air apprêté, auquel je n’ai jamais été accoutumée dans les mêmes occasions. Ils étoient tous assis. Je courus vers mon père, et j’embrassai ses genoux. Je rendis les mêmes respects à ma mère. Ils me reçurent tous deux d’un air froid. Mon père ne me donna qu’une bénédiction à demi-prononcée. Ma mère, à la vérité, me nomma sa chère enfant ; mais elle ne m’embrassa point avec l’ardeur ordinaire de sa tendresse.

Après avoir rendu mes devoirs à mes oncles, et fait mon compliment à ma sœur, qui m’écouta d’un air sérieux et contraint ; je reçus ordre de m’asseoir. Je me sentais le cœur chargé, et je répondis que si je n’avais pas un accueil moins effrayant et moins extraordinaire à espérer, il me convenait mieux de demeurer debout. Mon embarras m’obligea de tourner le visage et de tirer mon mouchoir.

Aussi-tôt mon frère, ou mon accusateur, prit la parole, et me reprocha de n’avoir pas reçu moins de cinq ou six visites chez Miss Howe, de la personne qu’ils avoient tous de si fortes raisons de haïr : ce fut son expression ; et cela, malgré l’ordre que j’avais reçu de ne le pas voir. Niez, me dit-il, si vous l’osez.

Je lui répondis que mon caractère ne m’avait jamais permis de nier la vérité, et que je n’étais pas disposée à commencer. Dans l’espace de mes trois semaines, j’avouai que j’avais vu plus de cinq ou six fois la personne dont il voulait parler. De grace, mon frère, lui dis-je, permettez que j’achève ; car je le voyais prêt à s’emporter. Lorsqu’il est venu, il a toujours demandé Madame Howe et sa fille. J’avais quelques raisons de croire, continuai-je, qu’elles auraient employé tous leurs efforts pour se dispenser de le recevoir ; mais elles m’ont apporté plus d’une fois pour excuse, que, n’ayant pas les mêmes raisons que mon père, pour lui interdire l’entrée de leur maison, sa naissance et sa fortune les obligeaient à la civilité.

Vous voyez, ma chère, que j’aurais pu faire une autre apologie. Mon frère paroissait sur le point de lâcher la bride à sa passion. Mon père prenait la contenance qui annonce toujours un violent orage. Mes oncles parlaient bas, d’un ton grondeur, et ma sœur levait les mains d’un air qui n’était pas propre à les adoucir, lorsque je demandai en grace d’être entendue. Il faut écouter cette pauvre enfant, dit ma mère. C’est le terme que sa bonté lui fit employer.

Je me flattais, leur dis-je, qu’il n’y avait rien à me reprocher. Il ne m’auroit