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Je dois vous répéter mon dernier conseil : si vous n’êtes point encore mariée, gardez-vous de différer la cérémonie. Dans l’état où sont les choses, je souhaiterais qu’on pût penser que vous étiez mariée secrétement avant votre départ. Si ces hommes font valoir, et souvent pour notre malheur, le terme d’ autorité lorsque nous sommes à eux, pourquoi n’en tirerions-nous pas quelque avantage, dans un cas tel que le vôtre, pour le soutien de notre réputation, lorsqu’ils nous engagent à violer des droits plus naturels que les leurs ? Ce qui me chagrine presque autant que tout le reste, c’est que votre frère et votre sœur sont au comble de leurs désirs. Je ne doute pas qu’à présent le testament ne soit altéré à leur gré, et que le dépit ne produise d’autres effets de cette nature. On m’avertit à ce moment, que Miss Loyd et Miss Bidulphe demandent à me voir. On me dit que leur impatience est extrême. Vous jugez aisément du motif qui les amène. Je verrai ma mère avant que de leur parler. Le moyen de me justifier est de lui montrer votre lettre. Il me sera impossible de lui dire un mot, jusqu’à ce qu’elle se soit mise elle-même hors d’haleine. Pardon, ma chère. C’est la surprise qui me dicte tout ce que j’écris. Si votre messager était moins pressé, et si je n’avais pas ici nos deux amies qui m’attendent, je ferais une autre lettre, dans la crainte que celle-ci ne vous afflige. Je remets votre linge au messager. Si vous desirez quelque chose qui ne me soit pas absolument impossible, donnez des ordres sans réserve à votre fidèle. Anne Howe.


Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

mardi au soir. Quels remerciemens ne vous dois-je pas, ma chère Miss Howe , pour la bonté qui vous intéresse encore au sort d’une malheureuse fille, dont la conduite est devenue l’occasion d’un si grand scandale ? Je crois, en vérité, que cette considération m’afflige autant que le mal même. Dites-moi… mais je crains de le savoir ! Dites-moi néanmoins, ma chère, quelles ont été les premières marques de l’étonnement de votre mère. Je n’ai pas moins d’impatience, et j’ai la même crainte d’apprendre ce que nos jeunes compagnes, qui peut-être ne seront plus jamais les miennes, disent à présent de moi. Elles n’en peuvent rien dire de pis que ce que je vous dirai moi-même. Je m’accuserai, n’en doutez pas, je me condamnerai à chaque ligne sur tous les points où j’aurai quelque chose à me reprocher. Si le récit que j’ai à vous faire est capable de diminuer ma faute (car c’est l’unique prétention d’une infortunée, qui ne peut s’excuser à ses propres yeux), je sais ce que j’ai à me promettre de votre amitié ; mais je n’ai pas les mêmes espérances de la charité des autres, dans un temps où je ne doute point que tout le monde n’ait la bouche ouverte contre moi, et que tous ceux qui connaissent Clarisse Harlove ne condamnent sa conduite. Après avoir porté au dépôt la lettre qui étoit pour vous, et repris celle qui faisait une partie de mes inquiétudes, je retournai au cabinet de