Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/376

Cette page n’a pas encore été corrigée

me suis trompée. Que la crainte a de pouvoir pour réaliser toutes ses chimères ! Pourquoi donc suis-je si peu maîtresse de moi ? Je vais porter cette lettre au dépôt. Delà, j’irai voir, pour la dernière fois, si celle qu’il devrait avoir levée est encore au lieu ordinaire. S’il l’a prise, je ne le verrai point. Si je la trouve encore, je la reprendrai ; pour le convaincre, en la lui montrant, qu’il n’a rien à me reprocher. Elle m’épargnera quantité de détours et d’inutiles raisonnemens ; et je n’aurai qu’à tenir ferme sur ce qu’elle contient. L’entrevue doit être courte ; car si j’avais le malheur d’être aperçue, ce serait un nouveau prétexte pour les rigueurs dont je suis menacée après demain. Je doute si j’aurai la liberté de vous écrire pendant le reste du jour. Suis-je sûre même de l’avoir, avant que d’être livrée peut-être à ce misérable Solmes ? Mais non, non ; c’est ce qui n’arrivera jamais, tandis qu’il me restera quelque usage de mes sens. Si votre messager ne trouve rien au dépôt mercredi matin, vous pouvez conclure alors qu’il me sera impossible et de vous écrire et de recevoir de vous les mêmes faveurs. Dans cette malheureuse supposition, ayez pitié de moi, très-chère amie, priez pour moi ; et conservez-moi, dans votre affection ce rang qui fait la gloire de ma vie, et mon unique consolation. Clarisse Harlove.



Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

à Saint Albans, mardi à une heure après minuit. ô ma très-chère amie ! Après toutes les résolutions dont je vous ai entretenue dans ma dernière lettre, que dois-je ou que puis-je vous écrire ? De quel front approcher de vous, par l’entremise même d’une lettre ? Vous serez bientôt informée, si vous ne l’êtes déjà par le bruit public, que votre amie, votre Clarisse Harlove, a pris la fuite avec un homme ? Je n’ai rien de si important, de si nécessaire au monde, que de vous en expliquer les circonstances. Toutes les heures du jour, et de chaque jour, seront employées à cette grande entreprise, jusqu’à ce qu’elle soit entièrement finie : j’entends les heures que cet importun me laissera libre, à présent que je me suis jetée si follement dans la nécessité de lui en accorder un grand nombre. Le sommeil a fait divorce avec mes yeux. Il n’approche plus de moi, quoique son assoupissement soit un baume si nécessaire pour adoucir les plaies de mon ame. Ainsi, pendant les heures qu’il devrait occuper, vous aurez, sans interruption, le récit de ma funeste aventure. Mais, après ce que j’ai fait, daignerez-vous, ou vous sera-t-il permis de recevoir mes lettres ? ô ma chère amie ! Souffrez que je respire. Il ne me reste qu’à tirer le meilleur parti que je pourrai de ma situation. J’espère qu’il ne sera point désavantageux. Cependant je n’en suis pas moins convaincue que l’entrevue est une action téméraire et qui ne peut être excusée. Toute sa tendresse, tous ses sermens, ne peuvent calmer les reproches que mon cœur se fait de cette imprudence.