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moins de vanité de ses talens, parce que j’étais persuadée qu’on en aurait beaucoup moins d’opinion, s’ils n’étoient pas accompagnés du pouvoir de nuire. J’étais irritée. Je n’ai pu retenir cette réflexion. Il la méritait, si vous considérez qu’il est probablement la dupe de l’autre, par son propre espion. Mais des deux côtés j’approuve si peu ces basses ressources, que, si la persécution était un peu plus ménagée, je ne laisserais pas la perfidie de ce vil Joseph Leman sans punition. Il était fâcheux, m’a dit ma tante, que j’eusse une si mauvaise idée de mon frère. C’était néanmoins un jeune homme qui avait du savoir et de fort bonnes qualités. Assez de savoir, ai-je répondu, pour en faire parade devant nous autres femmes : mais a-t-il ce qu’il faut pour devenir meilleur, et pour se rendre estimable à d’autres yeux que les siens ? Elle lui aurait souhaité, dans le fond, un peu plus de douceur et de bon naturel : mais elle craignait que je n’eusse trop bonne opinion d’un autre, pour juger aussi avantageusement de mon frère qu’une sœur y est obligée ; parce qu’il y avait entr’eux une rivalité de mérite, qui était la cause mutuelle de leur haine. De la rivalité, madame ? Lui ai-je dit : j’ignore ce qu’on en doit croire ; mais je souhaiterais qu’ils entendissent mieux tous deux ce qui convient aux principes d’une éducation honorable ; l’un et l’autre ne feraient pas gloire de ce qui devrait les couvrir de honte. Ensuite, changeant de sujet, il n’était pas impossible, ai-je repris, qu’on ne trouvât quelques-uns de mes papiers, une ou deux plumes, un peu d’encre (art que je déteste ! Ou plutôt fatale nécessité qui m’y contraint !), n’ayant pas la liberté de remonter pour les mettre à couvert : mais puisqu’on exigeait de moi ce sacrifice, il fallait me consoler ; et quelque tems qu’on pût employer à cette recherche, mon dessein était si peu de l’interrompre, que j’étais résolue d’attendre au jardin l’ordre de retourner à ma prison. J’ai ajouté, avec la même ruse, que cette nouvelle violence ne se ferait apparemment qu’après le dîner des domestiques, parce que je ne doutais pas qu’on n’y employât Betty, qui connaissait tous les recoins de mon appartement. Il était à souhaiter, m’a dit ma tante, qu’on ne trouvât rien qui fût capable de confirmer les soupçons ; parce qu’elle pouvait m’assurer que le motif de cette recherche, sur-tout de la part de ma mère, était de se procurer des lumières capables de me justifier ; engager mon père à me voir demain au soir, ou mercredi matin, sans aucun emportement ; je devrais dire avec tendresse, a-t-elle ajouté ; car c’est à quoi il est résolu, s’il ne reçoit pas de nouveau sujet d’offense. Ah ! Madame, ai-je répondu, en secouant la tête. Pourquoi ce ah ! Madame , accompagné d’une marque de doute ? Je souhaite, madame, de n’avoir pas plutôt à craindre la continuation du mécontentement de mon père, que le retour de sa tendresse. C’est, ma chère, ce que vous ne savez pas. Les affaires peuvent prendre un tour. Peut-être ne vont-elles pas aussi mal que vous le croyez.