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Vous pouvez juger, ma chère, que l’idée de voir M Lovelace, et la crainte d’être découverte, jointe aux avis que j’avais reçus de ma cousine, m’ont jetée dans une grande et visible émotion. Elle s’en est aperçue : pourquoi ces soupirs ? Pourquoi vois-je soulever ce sein ? M’a-t-elle dit, en mettant la main sur mon cou. Ah ! Ma chère nièce, qui se serait défié que tant de douceur naturelle fût si bien armée contre la persuasion ? Je n’ai pu répondre. Elle a continué : la commission qui m’amène sera fort mal reçue, je le prévois. Quelques discours qui nous ont été rapportés, et qui viennent de la bouche du plus désespéré et du plus insolent de tous les hommes, convainquent votre père et toute la famille, que vous trouvez encore le moyen d’écrire au-dehors. M Lovelace est informé sur-le-champ de tout ce qui se passe ici. On appréhende de lui quelque grand malheur, que vous avez autant d’intérêt à prévenir que tous les autres. Votre mère a des craintes qui vous regardent personnellement, et qu’elle veut croire encore mal fondées ; cependant elle ne saurait être tranquille, si vous ne lui laissez la liberté, tandis que vous êtes dans ce cabinet, de visiter encore une fois votre chambre et vos tiroirs. On vous saura bon gré de me livrer volontairement toutes vos clés. J’espère, ma nièce, que vous ne les disputerez pas. On a résolu de faire apporter ici votre dîner pour vous épargner ce spectacle, et pour se donner le temps nécessaire. Je me suis crue fort heureuse d’avoir été si bien préparée par la lettre de ma cousine. Cependant j’ai eu la petite ruse de marquer quelques scrupules, et d’y joindre des plaintes assez amères ; après quoi, non-seulement j’ai donné mes clés, mais j’ai vidé officieusement mes poches devant ma tante, et je l’ai invitée à mettre les doigts sous mon corset, pour s’assurer qu’il n’y avait aucun papier. Elle a paru fort satisfaite de ma soumission, qu’elle me promettait, m’a-t-elle dit, de représenter dans les termes les plus favorables, sans s’arrêter à ce que mon frère et ma sœur en pourraient dire. Elle était sûre que ma mère serait charmée de l’occasion que je lui donnais de répondre à quelques soupçons qu’on avait fait naître contre moi. Elle m’a déclaré alors qu’on avait des méthodes sûres pour découvrir les secrets de M Lovelace, et quelques-uns même des miens, par la négligence qu’il avait à les cacher, et par la vanité avec laquelle il faisait gloire de ses desseins jusques devant ses domestiques. Tout profond qu’on se le figurait, a-t-elle ajouté, mon frère l’était autant que lui, et réellement trop fort pour lui à ses propres armes, comme l’avenir le ferait connaître. J’ignorais, lui ai-je répondu, ce qu’il y avait de caché sous des termes si obscurs. J’avais cru jusqu’alors que les méthodes qu’elle paroissait attribuer à l’un et à l’autre, méritaient plus de mépris que d’applaudissement. Ce que j’apprenais d’elle me faisait voir évidemment que les soupçons qui me regardaient ne pouvaient venir que de l’esprit supérieur de mon frère, et sans doute aussi du témoignage qu’il se rendait à lui-même, que le traitement que j’ai essuyé m’autorise à leur donner une juste occasion : qu’il était fort malheureux pour moi de servir de jouet au bel esprit de mon frère : que je souhaitais néanmoins qu’il se connût lui-même aussi parfaitement que je croyais le connaître ; qu’alors, peut-être, il tirerait