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et je demanderai le temps de consulter cet habile théologien. Avec la force que je donnerai à ma demande, il est certain qu’elle sera secondée par ma mère. Ma tante Hervey et Madame Norton ne manqueront pas de venir à l’appui. Le délai suivra infailliblement, et je m’échappe au travers de l’avenir. Mais s’ils sont déterminés à la violence ! S’ils ne m’accordent aucun délai ! Si personne ne se laisse attendrir ! S’il est résolu que la fatale formule sera lue sur ma main tremblante et forcée ! Alors… hélas ! Que ferai-je alors ? Je ne puis que… mais que puis-je ? ô ma chère ! Ce Solmes ne recevra jamais mes sermens. J’y suis trop résolue. Je prononcerai, non, non, aussi long-temps que j’aurai la force de parler. Qui osera donner le nom de mariage à cette horrible violence ? Il est impossible qu’un père et une mère puissent autoriser de leur présence une si affreuse tyrannie. Mais si les miens se retirent, et s’ils abandonnent l’exécution à mon frère et à ma sœur, je n’ai point de miséricorde à espérer. Voici quelques petits artifices, auxquels j’ai recours ; le ciel sait avec quelle répugnance. Je leur ai donné une sorte d’indice, par un bout de plume que j’ai laissé paraître dans un lieu où ils trouveront une partie de mes provisions secretes, que je veux bien leur abandonner. J’ai laissé, comme par négligence, deux ou trois essais de ma propre écriture, dans un endroit où ils peuvent être aperçus. J’ai abandonné aussi dix ou douze lignes d’une lettre que j’ai commencée pour vous, dans laquelle je me flatte que, malgré les apparences qui sont contre moi, mes amis se relâcheront. Ils savent de votre mère, par mon oncle Antonin, que je reçois de temps en temps une lettre de vous. Je déclare, dans le même fragment, ma ferme résolution de renoncer à l’homme pour lequel ils ont tant de haine, lorsqu’ils m’auront délivrée des persécutions de l’autre. Près de ces essais, j’ai laissé la copie d’une ancienne lettre, qui contient divers argumens convenables à ma situation. Peut-être que, les lisant ainsi par hasard, ils y trouveront quelque motif de faveur et d’indulgence. Je me suis réservé, comme vous pouvez le croire, assez d’encre et de plumes pour mon usage ; et j’en ai même une partie dans le grand cabinet de verdure, où je les ferai servir à mon amusement, pour me distraire, si je le puis, des idées noires qui m’obsedent, et de tant de craintes qui ne peuvent qu’augmenter jusqu’au grand jour. Clarisse Harlove.



Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

dans le cabinet de verdure, à 11 heures. Il n’a point encore ma lettre. Tandis que j’étais ici à méditer les moyens d’écarter mon officieuse geolière, pour me procurer le tems nécessaire à cette entrevue, ma tante est entrée subitement, et m’a fort étonnée par sa visite. Elle m’a dit qu’elle m’avait cherchée dans les allées du jardin ; que bientôt elle n’aurait plus cet embarras pour me joindre ; et qu’elle espérait, comme tous mes amis, que ce jour serait le dernier de notre séparation.