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pouvez compter, a interrompu mon oncle Jules, qu’il cherchera toutes sortes de moyens pour la voir.

L’impudent ne les trouverait pas moins ici, a dit mon oncle Antonin, et il vaut mieux que ce soit là qu’ici.

Le mieux, a reprit mon père, est que ce ne soit nulle part ; et se tournant vers moi, je vous ordonne, sous peine de me déplaire, de ne le pas voir du tout.

Soyez sûr, monsieur, lui ai-je dit, que je ne le verrai pas dans la vue de l’encourager, et que je ne le verrai pas du tout, si je puis éviter de le voir avec décence.

Vous savez, a dit ma mère, avec quelle indifférence elle l’a vu jusqu’à présent. On peut, comme l’a remarqué ma sœur Hervey, se fier hardiment à sa prudence.

Avec quelle apparente indifférence… a murmuré mon frère d’un ton moqueur.

Mon fils ! A interrompu sévèrement mon père. Je n’ajoute pas un mot, a repris mon frère. Mais s’adressant à moi, d’un air piquant, il m’a recommandé de ne pas oublier la défense. Telle a été la fin de cette conférence. Vous engagez-vous, ma chère, à ne pas souffrir que l’homme détesté approche de votre maison ? Mais quelle contradiction n’y a-t-il pas à consentir que je parte, dans l’idée que c’est le seul moyen d’éviter ici ses visites ? S’il vient, je vous charge du moins de ne me jamais laisser seule avec lui.

Comme je n’ai aucune raison de douter que mon arrivée ne soit agréable à votre mère, je vais mettre tout en ordre, pour me procurer le plaisir de vous embrasser dans deux ou trois jours.



LETTRE VII.

Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

Au château d’Harlove, 20 février.

Je commence par des excuses, de ne vous avoir pas plutôt écrit. Hélas ! Ma chère, il s’ouvre une triste perspective devant mes yeux. Tout succède au gré de mon frère et de ma sœur. Ils ont trouvé un nouvel amant pour moi. Quel amant ! Cependant il est encouragé par tout le monde. Ne soyez plus surprise qu’on m’ait rappelée au logis avec tant de précipitation. On ne m’a donné qu’une heure ; sans autre avis, comme vous savez, que celui qui m’est venu avec la voiture qui devait me ramener. Je n’en ignore plus la raison. C’était la crainte, indigne crainte ! Que si j’eusse pénétré les motifs qui me faisaient rappeler, je ne fusse entrée dans quelque complot avec M. Lovelace, parce qu’ils ne peuvent douter de mon dégoût pour celui qu’ils me proposent. Ils pouvaient bien y compter ; car sur qui vous imaginez-vous qu’est tombé leur choix ? Ce n’est pas sur un autre que M. Solmes. L’auriez-vous cru ? Ils sont tous déterminés, et ma mère avec les autres. Chère, chère et excellente mère ! Comment s’est-elle ainsi laissé séduire ! Elle, comme je l’ai su de bonne part, qui eut la bonté de dire, lorsque M. Solmes fut proposé la première fois, que, quand il serait en possession de toutes les richesses des Indes, et qu’il me les offrirait avec sa main, elle ne le croirait pas digne de sa chère Clarisse.