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Est-il possible qu’il se croie si sûr de moi ? Il se figure peut-être que je n’ai pas la hardiesse de changer de résolution. Je voudrais ne l’avoir jamais connu. C’est à présent que je vois cette téméraire démarche dans le même jour où tout le monde l’aurait vue, si je m’en étois rendue coupable. Mais quel parti prendre, s’il vient aujourd’hui à l’heure marquée ? S’il vient sans avoir reçu la lettre, je suis obligée de le voir ; sans quoi, il ne manquera pas de juger qu’il m’est arrivé quelque chose, et je suis sûre qu’il entrera aussi-tôt au château. Il n’est pas moins certain qu’il y sera insulté : et quelles seront les suites ? D’ailleurs, je me suis presque engagée, si je changeais d’avis, à prendre la première occasion pour le voir et pour lui expliquer mes raisons. Je ne doute pas qu’elles ne lui déplaisent beaucoup… mais il vaut mieux qu’il parte de mauvaise humeur, après m’avoir vue, que de partir moi-même mécontente de moi, et de mon imprudente démarche. Cependant, quoiqu’extrêmement pressé par le tems, il peut envoyer encore et recevoir la lettre. Qui sait s’il n’a pas été retardé par quelque accident qui le rendra peut-être excusable ? Comme j’ai trompé plusieurs fois ses espérances pour une simple entrevue, il est impossible qu’il n’eût pas eu du moins la curiosité de savoir s’il n’est rien arrivé, et si je suis ferme dans une occasion bien plus importante. D’un autre côté, comme je lui ai confirmé témérairement ma résolution par une seconde lettre, je commence à craindre qu’il n’en ait pas douté. à neuf heures. Ma cousine Hervey s’est approchée de moi, en me voyant revenir du jardin. Elle m’a glissé fort adroitement dans la main une lettre que je vous envoie. Vous y reconnaîtrez la simplicité de son caractère. Très-chère cousine, j’apprends d’une personne qui se croit bien informée, que vous devez être mariée à M Solmes mercredi matin. Peut-être ne m’a-t-on fait cette confidence que pour me causer du chagrin ; car c’est de Betty Barnes que je l’apprends, et je la connais pour une insolente créature. Cependant elle dit que les dispenses sont obtenues ; et m’ayant recommandé de n’en parler à personne, elle m’a même assurée que c’est M Brandt, ce jeune ministre d’Oxfort, qui doit faire la cérémonie. Le docteur Lewin refuse, à ce que j’entends, de vous donner la bénédiction, si vous n’y consentez. Il a déclaré qu’il n’approuve point la manière dont on use avec vous, et que vous ne méritez pas d’être traitée si cruellement. Pour M Brandt, Betty ajoute qu’on lui a promis de faire sa fortune. Vous saurez mieux que moi l’usage que vous devez faire de ces lumières ; car je soupçonne Betty de me dire bien des choses sur lesquelles elle me recommande le silence, et dont elle s’attend néanmoins que je trouverai le moyen de vous informer. Elle sait, comme tout le monde, que je vous aime avec une passion extrême ; et je suis bien aise que personne ne l’ignore. C’est un honneur pour moi d’aimer une chère cousine qui fait l’honneur de toute la famille. Mais je vois que Miss Harlove et cette fille se parlent sans cesse à l’oreille ; et lorsquelles ont fini, Betty a toujours quelque chose à me dire. Ce que je vais vous apprendre est très-certain, et c’est particuliérement ce qui me porte à vous écrire : mais je vous supplie de brûler ma