Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/365

Cette page n’a pas encore été corrigée

Vous établissez ainsi la question : " si je ne dois pas me déterminer plutôt à partir avec une personne de mon sexe, avec ma chère Anne Howe, qu’avec une personne de l’autre, avec Lovelace ? " et, supposé que je parte avec lui, " si je ne dois pas me marier le plutôt qu’il me sera possible ? " vous savez, ma chère, les raisons qui m’ont fait rejeter vos offres, et qui me font même désirer très-ardemment que vous ne paroissiez point dans une entreprise à laquelle il n’y a qu’une nécessité cruelle qui ait été capable de me faire penser, et pour laquelle vous n’auriez pas la même excuse. à ce compte, votre mère aurait eu raison de s’alarmer de notre correspondance, et l’évènement justifierait ses craintes. Si j’ai peine à concilier avec mon devoir la pensée de me dérober par la fuite à la rigueur de mes amis, qu’allégueriez-vous pour votre défense, en quittant une mère pleine de bonté ? Elle tremble que l’ardeur de votre amitié ne vous engage dans quelque indiscrétion ; et vous, pour la punir d’un soupçon qui vous offense, vous voudriez faire voir, à elle et à tout le monde, que vous pouvez vous précipiter volontairement dans la plus grande erreur dont notre sexe puisse être coupable. Et, je vous le demande, ma chère, croyez-vous qu’il fût digne de votre générosité de hasarder une fausse démarche, parce qu’il y a beaucoup d’apparence que votre mère se croirait trop heureuse de vous revoir ? Je vous assure que, malgré les raisons qui peuvent me forcer moi-même à cette fatale démarche, j’aimerais mieux m’exposer à toutes sortes de risques de la part de ma famille, que de vous voir la compagne de ma fuite. Vous imaginez-vous qu’il soit à désirer pour moi de doubler ou de tripler ma faute aux yeux du public ; de ce public, qui, de quelque innocence que je me flatte, ne me croira jamais tout-à-fait justifiée par les cruels traitemens que j’essuie, parce qu’il ne les connaît pas tous ? Mais, très-chère, très-tendre amie, apprenez que ni vous, ni moi, nous ne nous engagerons point dans une démarche que je crois également indigne de l’une et de l’autre. Le tour que vous donnez à vos deux questions me fait voir clairement que vous ne me la conseillez point. Il me paraît certain que c’est le sens dans lequel vous désirez que je les prenne ; et je vous rends grâces de m’avoir convaincue avec autant de force que de politesse. C’est une sorte de satisfaction pour moi, en considérant les choses dans ce jour, d’avoir commencé à chanceler avant l’arrivée de votre dernière lettre. Hé bien ! Je vous déclare qu’elle me détermine absolument à ne pas partir ; ou, du moins, à ne pas partir demain. Si vous-même, ma chère, vous jugez que le succès des espérances que j’ai eues du côté de votre mère a pu m’être indifférent, ou, pour trancher le mot, que mes inclinations ne sont pas innocentes, le monde me traitera sans doute avec bien moins de ménagement. Ainsi, lorsque vous me représentez que toutes les délicatesses doivent s’évanouir au moment que j’aurai quitté la maison de mon père ; lorsque vous me faites entendre qu’il faudra laisser juger à M Lovelace quand il pourra me quitter avec sûreté, c’est-à-dire, lui laisser le choix de me quitter ou de ne me quitter pas ; vous me jetez dans des réflexions, vous me découvrez des périls, sur lesquels il doit m’être impossible de passer, aussi long-temps que la décision dépendra de moi.