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Mais je veux descendre et faire un tour de promenade au jardin. Je porterai cette lettre au dépôt, avec toutes les siennes, à la réserve des deux dernières, que je mettrai sous ma première enveloppe, si je suis assez heureuse pour vous écrire encore. Dans l’intervalle, ma chère amie… mais quel objet proposerai-je à vos prières ? Adieu donc. Qu’il me soit permis seulement de vous dire adieu.



Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

dimanche 9 avril, au matin. Ne vous imaginez pas, très-chère amie, que votre réflexion d’hier, quoique le plus sévère effet que j’aie jamais éprouvé de votre impartiale affection, m’ait inspiré le moindre ressentiment contre vous. Ce serait m’exposer au plus fâcheux inconvénient de la condition royale, c’est-à-dire, perdre le moyen d’être avertie de mes fautes et de pouvoir m’en corriger, et renoncer par conséquent au plus précieux fruit d’une ardente et sincère amitié. Avec quel éclat et quelle noblesse ce feu sacré doit-il brûler dans votre sein, pour vous faire reprocher à une infortunée d’avoir moins de chaleur dans sa propre cause que vous n’en avez vous-même, parce qu’elle s’efforce de justifier ceux qui ne sont pas disposés à lui prêter leur secours ? Dois-je vous blâmer de cette ardeur ? Ou ne dois-je pas la regarder plutôt avec admiration ? Cependant, de peur que vous ne vous confirmiez dans un soupçon qui me rendrait inexcusable, s’il avait quelque fondement, je dois vous déclarer, pour me rendre justice à moi-même, que je ne connais pas mon propre cœur, s’il recèle cette inclination secrète ou désavouée que vous attribueriez à toute autre femme que moi . Je suis fort éloignée aussi d’être plus indifférente que je ne veux le paraître sur le succès des espérances que j’ai eues du côté de votre mère. Mais je crois devoir l’excuser ; ne fût-ce que par cette seule raison, qu’étant d’un autre âge que le mien, et mère de ma plus chère amie, je ne puis attendre d’elle les mêmes sentimens d’amitié que de sa fille. Ceux que je lui dois sont le respect et la vénération, qu’il serait difficile d’accorder avec cette douce familiarité qui est un des plus indispensables et des plus sacrés liens par lesquels votre cœur et le mien sont unis. Je pourrais attendre de ma chère Anne Howe, ce que je ne dois pas me promettre de sa mère. En effet, ne serait-il pas bien étrange qu’une femme d’expérience fût exposée à quelque reproche, pour n’avoir pas renoncé à son propre jugement dans une occasion où elle n’aurait pu se conformer aux désirs d’autrui sans choquer une famille pour laquelle elle a toujours fait profession d’amitié, et sans se déclarer contre les droits des pères sur leurs enfans ; sur-tout lorsqu’elle est mère, elle-même, d’une fille (permettez-moi de le dire) dont elle redoute le vif et charmant caractère ? Crainte maternelle, à la vérité, qui lui fait considérer votre jeunesse plus que votre prudence, quoiqu’elle sache, comme tout le monde, que votre prudence est fort au-dessus de votre âge. Mais je passe aux deux points de votre lettre qui me paroissent aussi importans qu’à vous.