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pas surprenant qu’on prenne leur avis sur la permission que j’ai demandée d’aller passer quelques jours chez vous.

Il faut vous rendre compte de ce qui vient de se passer dans l’assemblée. Je prévois que vous n’en aurez pas plus d’amitié pour mon frère ; mais je suis fâchée moi-même contre lui, et je ne puis m’en empêcher. D’ailleurs il est à propos que vous sachiez les conditions qu’on m’impose, et les motifs par lesquels on s’est déterminé à me satisfaire.

— Clary, m’a dit ma mère en me voyant paraître, on a pris en considération la demande que vous faites d’aller passer quelques jours chez Miss Howe. Elle vous est accordée.

— Contre mon avis, je vous proteste, a dit mon frère, en l’interrompant d’un ton brusque.

— Mon fils ! C’est le seul mot qu’a dit mon père, et il a froncé le sourcil. Cet ordre muet a fait peu d’impression. Mon frère a le bras en écharpe, et il a souvent la petite ruse d’y jeter les yeux, lorsqu’on propose quelque ouverture qui peut tendre à une réconciliation avec M. Lovelace : qu’on empêche donc cette petite fille (je suis souvent cette petite fille pour lui) de voir un méprisable libertin.

Personne n’a ouvert la bouche.

— Entendez-vous, ma sœur Clarisse ? Prenant le silence de tout le monde pour une approbation. Vous ne devez pas recevoir les visites du neveu de milord M.

Chacun a continué de garder le silence. Il m’a interrogée : — Entendez-vous dans ce sens, Miss Clary, la permission qu’on vous accorde ?

— Monsieur, lui ai-je répondu, je voudrais pouvoir entendre que vous êtes mon frère, et que vous voulussiez entendre vous-même que vous n’êtes que mon frère.

— Ô cœur, cœur trop prévenu ! En levant les mains avec un souris insultant.

Je me suis tournée vers mon père. — Monsieur, j’en appelle à votre justice. Si j’ai mérité ces réflexions, je demande de n’être pas épargnée. Mais si je ne suis pas responsable de la témérité…

— Qu’on finisse, a dit mon père, qu’on finisse de part et d’autre. Vous ne devez pas recevoir les visites de ce Lovelace, quoique… et vous, mon fils, vous ne devez laisser rien échapper au désavantage de votre sœur. C’est un digne enfant.

— Monsieur, je n’ajoute rien, a-t-il répliqué. Mais j’ai son honneur à cœur, comme celui de toute la famille.

— Et c’est de là, monsieur, ai-je repris, que viennent des réflexions si peu fraternelles !

— Fort bien, m’a-t-il dit ; mais observez, s’il vous plaît, miss, que ce n’est pas moi, et que c’est votre père, qui vous dit que vous ne devez pas recevoir les visites de ce Lovelace.

— Mon neveu ! Lui a dit ma tante Hervey, permettez-moi de remarquer qu’on peut se fier à la prudence de ma nièce Clary.

— Je suis convaincue qu’on le peut, a continué ma mère.

— Mais, ma tante, mais, madame, a représenté ma sœur Arabelle, il me semble qu’il n’y a point de mal à informer ma sœur sous quelles conditions elle va chez Miss Howe, puisque s’il a l’adresse de s’ouvrir l’entrée de cette maison… vous