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et peut-être du mien ; et mon père me porterait plutôt au tombeau, que de me voir jamais la femme de cet homme-là. Je lui ai représenté que ma santé n’est pas bonne ; que la seule appréhension de ces terribles extrémités me causait déjà des peines insupportables ; qu’elles ne feraient qu’augmenter à mesure que le temps approcherait, et que je craignais de me trouver fort mal. On était préparé, m’a-t-elle dit, à ces petits artifices ; et je pouvais compter qu’ils ne seraient utiles à rien. Des artifices ! Ai-je répété ; et c’est de la bouche de ma tante Hervey que j’entends cette cruelle expression ! Après tout, ma chère, a-t-elle répondu, prenez-vous tous vos amis pour des dupes ? Ne voient-ils pas comment vous affectez de faire entendre des soupirs, et de prendre un air abattu dans la maison : comment vous penchez la tête ; quelle lenteur vous mettez dans votre marche, en vous appuyant tantôt contre le mur, tantôt contre le dos d’une chaise, lorsque vous croyez être aperçue ? (c’est une accusation, ma chère Miss Howe, qui ne peut venir que de mon frère ou de ma sœur pour jeter sur moi l’odieuse tache de l’hypocrisie ; je ne suis pas capable d’un artifice si bas.) mais vous n’êtes pas plutôt dans une allée du jardin, ou vers le mur de votre basse-cour, que, vous croyant hors de la vue de tout le monde, on vous voit doubler le pas avec une légéreté surprenante. Je me haïrois moi-même, lui ai-je dit, si j’avais pu m’abaisser à cette honteuse ruse : et je ne serais pas moins insensée que méprisable ; car, n’ai-je pas assez éprouvé que le cœur de mes amis est incapable de se laisser attendrir par des motifs beaucoup plus touchans ? Mais, vous verrez ce que je deviendrai mardi. On ne vous soupçonne pas, ma nièce, d’un dessein violent contre vous-même. Le ciel vous a fait la grâce d’être élevée dans d’autres principes. J’ose m’en flatter, madame ; mais les violences que j’ai essuyées, et celles dont je suis menacée, suffisent pour affecter mes forces ; et vous vous appercevrez que je n’aurai besoin ni de cette malheureuse ressource, ni d’aucun artifice. Il ne me reste qu’une chose à vous dire, ma chère nièce ; c’est qu’en bonne santé ou non, vous serez mariée, probablement, mercredi au soir. Mais j’ajouterai, quoique sans commission, que M Solmes s’est engagé, si vous l’en priez comme d’une faveur, de vous laisser chez votre père après la cérémonie, et de retourner chez lui chaque jour au soir, jusqu’à ce que vous ayez ouvert les yeux sur votre devoir, et que vous ayez consenti à prendre un autre nom. On s’est déterminé à vous accorder cette grâce, parce qu’on sera tranquille alors de la part de Lovelace, dont les desirs s’éteindront sans doute avec l’espérance. Que répondre à cette affreuse déclaration ? Je suis demeurée muette. Voilà, chere Miss Howe, voilà ceux qui m’ont traitée de fille romanesque ! Voilà l’ouvrage de deux têtes prudentes ; celles de mon frère et de ma sœur, qui ont réuni toutes leurs lumières ! Cependant ma tante m’a dit que c’est la dernière partie de ce plan qui a déterminé ma mère. Jusqu’alors elle avait exigé que sa fille ne fût pas mariée malgré elle, si la force de sa douleur ou de son aversion paroissait capable d’altérer sa santé.