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crois ! On entend dire à l’un : qu’a donc cette perverse créature ? à l’autre : est-elle malade d’amour ? J’étais dans un cabinet du jardin, où le froid m’a saisie, et j’en suis revenue avec un tremblement qui ressemblait beaucoup à la fièvre. Betty qui l’a remarqué, en a fait le récit à ceux qui ont voulu l’entendre : " oh ! Le mal n’est pas grand. Laissez-la trembler ; le froid ne saurait lui nuire. L’opiniâtreté sera sa défense. C’est une cuirasse pour les filles amoureuses, quelque délicate que soit leur constitution ". Voilà les discours d’un frère cruel ! Ils sont entendus tranquillement par les plus chers amis d’une infortunée pour qui l’on craignait, il y a peu de mois, le souffle du moindre vent ! Il faut avouer que la mémoire de Betty est admirable dans ces occasions. Ceux dont elle rapporte les termes peuvent être sûrs qu’il ne s’en perd pas une syllabe. Elle répète jusqu’à leur air, et l’on n’est pas embarrassé à deviner de qui vient telle ou telle dureté. Vendredi à 6 heures. Ma tante, qui passe encore la nuit ici, ne fait que me quitter. Elle est venue m’apprendre le résultat des nouvelles délibérations de mes amis. Mercredi au matin, ils doivent s’assembler tous ; c’est-à-dire, mon père, ma mère, mes oncles, elle-même et mon oncle Hervey ; mon frere et ma sœur, comme de raison. La bonne Madame Norton doit en être aussi. Le docteur Lewin se trouvera au château, pour m’exhorter apparemment, si l’occasion le demande ; mais ma tante n’a pu me dire s’il sera de l’assemblée, ou s’il attendra qu’on le fasse appeler. Lorsque ce redoutable tribunal aura pris séance, la pauvre prisonniere doit être amenée par Madame Norton, qui m’aura donné d’avance les instructions qu’on lui aura dictées, pour me rappeler les devoirs d’une fille, qu’on suppose que j’ai tout-à-fait oubliés. Ma tante ne m’a point caché qu’on se croit sûr du succés. On est persuadé, dit-elle, que je ne puis avoir le cœur assez endurci pour résister aux décisions d’une cour si respectable, quoique j’aie soutenu en particulier les efforts du plus grand nombre : d’autant plus que mon père se propose de me traiter avec beaucoup de condescendance. Mais, quelles bontés, de mon père même, peuvent jamais m’engager au sacrifice qu’on attend de moi ? Cependant je prévois que mes esprits se soutiendront mal, lorsque je verrai mon père à la tête de l’assemblée. Je m’attendais bien, à la vérité, que mes épreuves ne finiraient pas sans que j’eusse paru devant lui ; mais c’est un de ces dangers dont toute la force ne se fait sentir qu’à leur approche. On espère de moi, dit ma tante, que mardi au soir, ou peut-être plutôt, je consentirai de bonne grâce à signer les articles ; et que, par cette première démarche, l’assemblée solemnelle de tous mes amis deviendra un jour de fête. On doit m’envoyer les permissions ecclésiastiques, et m’offrir encore une fois la lecture des articles, afin qu’il ne me reste aucun doute de l’exécution. Elle m’a fait entendre que ce serait mon père lui-même qui m’apporterait les articles à signer. ô ma chère ! Quelle épreuve que celle-ci ! Comment refuserai-je à mon père (mon père, que je n’ai pas vu depuis si long-temps ! Qui joindra peut-être la prière aux ordres et aux menaces), comment refuserai-je d’écrire mon nom ? On est sûr, dit-elle, qu’il se machine quelque chose du côté de M Lovelace,