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admirerez la hardiesse de ses raisonnemens. Ce n’est pas de générosité que je l’accuse de manquer, si je devais être à lui, ou si je lui avais donné lieu de croire que j’y pense. Mais je m’en suis bien gardée. Qu’un pas en amène facilement un autre avec ce sexe audacieux et suborneur ! Qu’une jeune personne, qui donne à un homme la moindre espèce d’encouragement, est bientôt emportée au-delà de ses intentions, et trop loin pour revenir jamais sur ses pas ! Vous vous imagineriez, sur ce qu’il m’écrit, que je l’ai mis en droit de croire que mon aversion pour M Solmes vient du penchant que j’ai pour lui. Ce qu’il y a de terrible, c’est qu’en comparant les avis de son espion (quoiqu’il paroisse ignorer le jour) avec les assurances que je reçois de ma tante, j’y trouve une cruelle confirmation que, si je demeure ici plus long-temps, il ne reste aucune espérance que je puisse éviter d’être à M Solmes. Je commence à douter si je n’aurais pas mieux fait d’aller chez mon oncle ; j’aurais du moins gagné du tems. Voilà le fruit de ses admirables inventions ? Il ajoute " que je serai satisfaite de toutes ses mesures ; que nous ne ferons rien sans délibération ; qu’il sera soumis à toutes mes volontés ; et que je dirigerai toutes les siennes " : langage, comme j’ai dit, d’un homme qui se croit sûr de moi. Cependant ma réponse est à-peu-près dans ces termes : " que, malgré le dessein où je suis de recourir à la protection de sa tante, comme il reste trois jours jusqu’à mardi, et qu’il peut arriver quelque changement de la part de mes amis et de M Solmes, je ne me croyais pas absolument liée par ma derniere lettre, ni dans l’obligation de lui expliquer les motifs de ma conduite, si j’abandonne cette résolution : qu’il me paraît nécessaire de l’avertir aussi qu’en me mettant sous la protection de sa tante, s’il se figure que mon intention soit de me livrer directement à lui, c’est une erreur à laquelle je le prie de renoncer, parce qu’il reste quantité de points sur lesquels je veux être satisfaite, et divers articles qui demandent d’être éclaircis, avant que je puisse écouter d’autres propositions : qu’il doit s’attendre, en premier lieu, que je n’épargnerai rien pour me réconcilier avec mon père, et pour lui faire approuver mes démarches futures ; aussi déterminée à me gouverner entiérement par ses ordres, que si je n’avais pas quitté sa maison : que, s’il peut s’imaginer que je ne me réserve pas cette liberté, et qu’il ait à se promettre de ma fuite quelque avantage dont il n’aurait pu se flatter autrement, je suis résolue de demeurer où je suis, et de risquer l’évènement, dans l’espérance que mes amis accepteront enfin l’offre tant de fois répétée ; de ne me marier jamais sans leur consentement ". Je vais me hâter de porter cette lettre. Si près des instans critiques, je suis persuadée qu’il ne me fera pas attendre de long-temps sa réponse. Vendredi à 4 heures. Je suis bien éloignée d’être en bonne santé ; mais je crois devoir affecter de paraître un peu plus malade que je ne le suis. C’est un acheminement au délai que je me flatte encore d’obtenir ; et si je l’obtiens, ne doutez pas que toutes mes autres mesures ne soient aussi-tôt suspendues. Betty a déjà publié que je suis fort indisposée. Cette nouvelle n’excite la pitié de personne. Il semble que je sois devenue l’objet de l’aversion commune, et qu’ils seraient tous charmés de me voir morte. En vérité, je le