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de vengeance. Ma tante ayant eu le temps de me joindre et de me prendre par la main, je me suis laissé reconduire à ma chambre, où elle s’est efforcée de m’appaiser. Mais le transport où elle m’avait vue s’était changé en sombres réflexions. Je n’ai pas fait la moindre réponse à toutes les maximes de patience et de soumission qu’elle m’a prêchées. Elle s’est alarmée de mon silence, jusqu’à demander ma parole, que je n’entreprendrais rien de violent contre moi-même. Je lui ai dit que j’espérais de la bonté du ciel, qu’il me préserverait d’une si horrible extrêmité. Elle se disposait à partir ; mais je l’ai pressée d’emporter ses odieux parchemins ; et me voyant déterminée à ne les pas garder, elle les a repris, en me disant que mon père ne saurait pas que j’eusse refusé de les lire, et qu’elle espérait de moi plus de complaisance dans quelqu’autre temps qu’elle choisirait mieux. J’ai roulé dans ma tête, après son départ, ce que j’avais entendu de la bouche de mon frère et de ma sœur. Je me suis arrêtée sur leurs airs d’insulte et de triomphe. J’ai senti naître dans mon cœur une animosité que je n’ai pu vaincre. C’est le premier sentiment de cette nature que j’aie jamais éprouvé. En rassemblant toutes les circonstances, et si proche du jour redoutable, quel parti me restait-il à prendre ? Trouverez-vous que ce que j’ai fait puisse être excusé ? Si je suis condamnée par ceux qui ne connaissent pas l’excès de mes peines, ne serai-je pas justifiée du moins à vos yeux ? Si je ne le suis pas, je me crois fort malheureuse ; car voici ce que j’ai fait. Après m’être promptement délivrée de Betty, j’ai écrit à M Lovelace, pour lui faire savoir, " que toutes les violences dont j’étais menacée chez mon oncle, doivent s’exécuter ici ; que j’ai pris la résolution de me retirer chez l’une ou l’autre de ses deux tantes, c’est-à-dire, chez celle qui aura la bonté de me recevoir ; en un mot, que si je n’étais pas arrêtée lundi par des obstacles invincibles, je me trouverais, entre quatre ou cinq heures après midi, à la porte du jardin ; que dans l’intervalle, il devait m’apprendre de laquelle de ces deux dames je pouvais espérer de la protection : mais que, si l’une ou l’autre consentait à me recevoir, j’exigerais absolument qu’il fît le voyage de Londres, ou qu’il se retirât chez son oncle ; qu’il ne me rendît aucune visite avant que j’eusse bien vérifié qu’il n’y avait rien à me promettre de ma famille par les voies de la soumission, et que je ne pouvais obtenir la possession de ma terre, avec la liberté d’y vivre. J’ai ajouté que, s’il pouvait engager une des Miss Montaigu à m’honorer de sa compagnie dans le voyage, je hasarderais plus tranquillement une démarche que mes malheurs même ne me faisaient point envisager sans une extrême inquiétude, et qui, malgré l’innocence de mes vues, jetterait sur ma réputation une tache qu’il me serait peut-être impossible d’effacer ". Tel est le sens de ma lettre. L’obscurité de la nuit ne m’a point empêchée de descendre pour la porter au jardin, quoique, dans un autre tems, je n’eusse pas eu le courage de braver les ténèbres ; et je suis revenue sans avoir rencontré personne. Après mon retour, il s’est offert à mon imagination tant de sujets d’alarmes, et des pressentimens si terribles, que, pour calmer un peu mon trouble, qui ne faisait qu’augmenter, j’ai eu recours à ma plume, et je vous ai fait cette longue lettre. à présent que je suis arrivée au principal sujet de mes agitations, je sens renaître mon épouvante avec mes