Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/342

Cette page n’a pas encore été corrigée

Si vous vous en souvenez, ma chère, cet argument est un de ceux par lesquels Madame Norton m’a le plus pressée. Ces observations et quantité d’autres, qui m’ont paru dignes du bon sens et de l’expérience de ma tante, peuvent être appliquées à la plupart des jeunes filles qui s’opposent à la volonté de leurs parens. Mais les sacrifices que j’ai offerts distinguent beaucoup ma situation, et doivent avoir un juste poids. Il m’était aisé de faire une réponse conforme à ce principe. Cependant, après tout ce que j’ai dit dans d’autres occasions à ma mère, à mon frère, à ma sœur, et même à ma tante, j’ai senti l’inutilité des répétitions ; et dans le mortel abattement où ses déclarations m’avoient jetée, quoiqu’il ne me fût pas échappé un mot de son discours, je ne me suis senti ni le pouvoir ni la volonté de lui répondre. Si ses propres vues ne l’avoient pas portée d’elle-même à s’arrêter, je l’aurais laissé parler deux heures sans l’interrompre. Elle m’observoit. J’étais assise, les yeux baignés de larmes, le visage couvert de mon mouchoir, et le cœur dans une oppression violente, qu’elle pouvait remarquer au soulèvement continuel de mon sein. Ce spectacle a paru la toucher. Quoi ! Ma chère, vous ne me dites rien ? Pourquoi cette douleur noire et taciturne ? Vous savez que je vous ai toujours aimée. Vous savez que je n’ai point d’intérêt à ce qu’on exige de vous. Pourquoi ne pas permettre à M Solmes de vous raconter plusieurs traits qui irriteraient votre cœur contre M Lovelace ? Vous en apprendrai-je quelques-uns ? Dites, ma chère, vous les apprendrai-je ? Je ne lui ai répondu encore que par mes larmes et par mes soupirs. Eh bien ! Ma nièce, on vous fera ce récit dans la suite, lorsque vous serez mieux disposée à l’entendre, lorsque vous serez capable d’apprendre, avec joie, de quel danger vous êtes échappée. Ce sera une sorte d’excuse pour la conduite que vous avez tenue à l’égard de M Solmes avant votre mariage. Vous n’auriez jamais cru, direz-vous alors, qu’il y eût tant de bassesse dans l’ame de M Lovelace. J’étais transportée d’impatience et de colère, d’entendre supposer mon mariage comme une chose accomplie. Cependant j’ai continué de me taire. Je n’aurais pu parler avec modération. étrange silence ! A repris ma tante. Comptez, chère nièce, que vos craintes sont infiniment plus grandes, avant le jour, qu’elles ne le seront après. Mais ne vous offensez point de ce que je vais proposer : voulez-vous être assurée, par vos propres yeux, de la générosité extraordinaire des articles ? Vos lumières sont fort au-dessus de votre âge. Jetez un coup d’œil sur le contrat. Oui, ma chère, lisez. Il est au net depuis quelque tems, et en état d’être signé. Votre père m’a ordonné de vous l’apporter, et de le laisser entre vos mains : il veut que vous le lisiez. On ne vous demande que de le lire, ma nièce ; je n’y vois aucune difficulté, puisqu’il est au net depuis le temps où l’on n’était point encore sans espérance. Aussi-tôt elle a pensé me faire expirer de frayeur, en tirant de son mouchoir quelques parchemins qu’elle y avait tenu cachés ; et se levant, elle les a placés sur ma commode. Un serpent qu’elle aurait fait sortir de son mouchoir, ne m’aurait pas causé plus d’horreur. Oh ma très-chère tante ! (en détournant le visage et levant les deux bras) cachez, cachez à mes yeux ces horribles écrits. Mais, dites-