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rendre à Londres, je réponds que l’offre dont elle est accompagnée me cause une parfaite épouvante. Assurément, ma chère, dans la situation où vous êtes, heureuse, traitée avec tant d’indulgence par une mère qui vous aime, vous ne pouvez me faire sérieusement cette ouverture. Je ne serais qu’une misérable, si j’y pouvais prêter l’oreille un instant. Moi, devenir l’occasion de la mort d’une telle mère, et prendre le chemin infaillible d’abréger ses jours ? Vous ennoblir, mon cher amour ! Ah ! Qu’une entreprise de cette nature, publique dans sa témérité, douteuse dans ses motifs, quand ils paraîtraient excusables aux yeux de ceux qui les connaîtraient aussi bien que moi, serait propre au contraire à vous ravaler ! Mais je ne veux pas m’arrêter un moment à cette idée. Passons, passons, pour votre propre honneur. à l’égard de votre seconde alternative, qui est de me mettre sous la protection de Milord M et des dames de sa famille, je vous avoue, comme je crois l’avoir déjà fait, que, sans pouvoir me déguiser à moi-même qu’au tribunal du public, ce serait me mettre en effet sous celle de M Lovelace, je ne laisse pas de penser que je m’y déterminerais plutôt que d’être la femme de M Solmes, s’il ne me restait pas d’autre moyen de l’éviter. Vous avez vu que M Lovelace promet de trouver une voie sûre et honnête pour m’établir dans ma maison. Il ajoute qu’il la remplira bientôt de dames de sa famille, sur une invitation néanmoins à laquelle je serai obligée, pour m’attirer l’honneur de leur visite. C’est une proposition que je trouve fort inconsidérée, et sur laquelle je ne puis guère m’expliquer avec lui. Ne serait-ce pas m’établir tête levée dans l’indépendance ? Si je me laissais persuader par ses flatteuses expressions, sans jeter la vue plus loin, considérez dans combien d’actions violentes ce seul conseil serait capable de m’engager : quel moyen de me mettre en possession de ma terre, si ce n’est par les voies ordinaires de la justice, qui ne manqueraient pas de traîner en longueur quand je serais plus disposée à les employer que je ne le serai jamais ; ou par la force ouverte, c’est-à-dire, en chassant à coups d’épée le concierge et plusieurs personnes de confiance, que mon père y entretient pour le soin des jardins, de l’édifice, des meubles, et qui ont reçu depuis peu, je le sais, de bonnes instructions de mon frère ? Votre troisième alternative, de joindre Lovelace, et de me marier sur le champ… un homme dont les mœurs sont bien éloignées de me plaire !… une démarche après laquelle je ne puis conserver la moindre espérance de réconciliation avec ma famille… et contre laquelle mille objections s’élèvent dans mon esprit… c’est à quoi il ne faut pas penser. Ce qui me révolte le moins, après la plus sérieuse délibération, c’est de me rendre à Londres. Mais je renoncerais à toute espérance de bonheur dans cette vie, plutôt que de vous voir partir avec moi, comme vous le proposez témérairement. Si je pouvais arriver sûrement à Londres, et trouver une retraite décente, il me semble que je demeurerais indépendante de M Lovelace, et libre de traiter avec mes amis ; où, s’ils rejetaient mes propositions, j’attendrais tranquillement l’arrivée de M Morden. Mais il y a beaucoup d’apparence qu’ils accepteraient alors l’offre que je fais de me réduire au célibat ; et lorsqu’ils me la verraient renouveler si librement, ils seraient convaincus du moins que je la faisais de