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naturelle de leurs désirs. Nos richesses, aussi-tôt entassées qu’acquises, formaient autour de nous comme un rempart qui semblait nous rendre inaccessibles aux traits de l’adversité. Je faisais l’orgueil de mes amis ; j’en ressentais moi-même de celui que je paroissais leur inspirer : et m’ étant glorifiée dans mes propres avantages , qui sait ce que la justice du ciel nous prépare, pour nous convaincre que nous ne sommes pas hors des atteintes de l’infortune, et pour nous faire établir notre confiance sur de meilleurs fondemens que notre présomption ? Votre partiale amitié vous portera toujours à me croire exempte de ce qu’on appelle fautes capitales et volontaires. Mais hélas ! Mes disgrâces commencent à m’humilier assez pour me faire tourner les yeux vers le fond de mon cœur : et qu’ai-je la confusion d’y découvrir ? Croyez-moi, ma chère amie, plus de vanité, plus d’orgueil secret, que je n’en aurais cru cacher dans cet abîme ignoré. Si je suis choisie pour faire ma propre punition et celle d’une famille dont on me nommait l’ornement, demandez pour moi, ma chère, que je ne sois pas abandonnée tout-à-fait à moi-même, et qu’il me reste la force de soutenir mon caractère, en évitant du moins de me rendre coupable par ma faute et contre mes lumières. Que les dispositions de la providence aient leur accomplissement dans tout le reste. Je suivrai sans impatience et sans regret le mouvement que je recevrai d’elle. Nous ne vivrons pas toujours : fasse le ciel seulement que ma dernière scène soit heureuse ! Mais je ne veux pas vous communiquer ma tristesse par des réflexions si sombres. Elles doivent se renfermer en moi-même. Le temps ne manque point à mon esprit pour s’en occuper, ni l’espace pour les contenir. Aussi n’a-t-il pas d’autre objet qui le remplisse. Mes peines sont trop aiguës pour être d’une longue durée. La crise approche. Vous me donnez l’espérance d’un meilleur tems. Je veux espérer. Cependant que puis-je me promettre du plus heureux avenir ? Poussée comme je suis ! Mon caractère si rabaissé, si avili, que, dans les plus favorables suppositions, je ne pourrais sans honte lever la tête et montrer mon visage au public ! Et tout cela, par l’instigation d’un frère intéressé et d’une sœur jalouse ! Arrêtons. Appelons la réflexion au secours. Ces cuisans retours sur moi-même ou sur autrui, ne viennent-ils pas de l’orgueil secret que je viens de censurer ? Déjà si impatiente ! J’étais si résignée à ce moment, si disposée à souffrir sans murmure ! J’en conviens. Mais il est difficile, extrêmement difficile, de soumettre un cœur plein d’amertume, une ame aigrie par la dureté et l’injustice, sur-tout dans les plus rudes instans de l’épreuve ! ô frère cruel !… mais quoi ! Mon cœur se soulève encore ? Je veux quitter une plume que je suis si peu capable de gouverner. Il faut m’efforcer de vaincre une impatience qui me ferait perdre le fruit de mes peines, si elles me sont envoyées pour ma correction, et qui pourrait m’entraîner dans des erreurs plus dignes encore de quelque autre châtiment. Je reprends un sujet dont je ne puis m’écarter long-temps ; rappelée sur-tout, comme je le suis, par les trois alternatives qui font la conclusion de votre dernière lettre. Au premier de vos trois points, c’est-à-dire, à la proposition de me