Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/335

Cette page n’a pas encore été corrigée

mettre sous la protection de Milord M et des dames de sa famille. Vous avez, à la vérité, un troisième parti, en vous supposant absolument déterminée contre Solmes ; c’est de joindre Lovelace, et de vous marier sur le champ. Quel que soit votre choix, vous aurez cette excuse aux yeux du public et à vos propres yeux, que, depuis le premier moment des troubles de votre famille, vous vous serez conduite avec uniformité sur le même principe, qui est de choisir le moindre mal, dans l’espérance d’en éviter un plus grand. Adieu ! Que le ciel inspire à ma chère Clarisse ce qui est le plus digne d’elle ! C’est la prière enflammée de sa fidèle, Anne Howe.



Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

jeudi, 6 avril. Je ne puis vous marquer assez de reconnaissance, ma très-chère amie, pour le soin que vous avez pris de m’expliquer avec tant d’affection ce qui vous empêcha hier de recevoir mes lettres, et pour la généreuse protection que vous m’auriez procurée, si votre mère s’était laissée fléchir par vos instances. Cette protection, sans doute, était ce que j’avais de plus heureux à souhaiter. Mais je reconnais que mes désirs, excités d’abord par votre tendresse, étoient moins soutenus par aucune espérance raisonnable, que par le désespoir même de trouver d’autres ressources. En effet, pourquoi s’embarrasserait-on des affaires d’autrui lorsqu’on peut l’éviter ? Ma seule consolation, comme je ne cesse pas de le répéter, c’est qu’on ne peut m’accuser d’être tombée dans l’infortune par ma négligence ou par ma folie. Si j’avais mérité ce reproche, je n’aurais pas la hardiesse de lever les yeux pour implorer du secours ou de la protection. Cependant, l’innocence ne donne droit à personne d’exiger, pour soi-même ou pour autrui, des bienfaits qui ne sont pas dûs, ni de se plaindre lorsqu’ils sont refusés. à plus forte raison, ne devez-vous pas être offensée qu’une mère aussi prudente que la vôtre ne juge point à propos de s’engager dans mes intérêts avec autant de chaleur que vous le désirez. Si ma propre tante est capable de m’abandonner, et contre son jugement, comme je crois pouvoir le dire ; si mon père, et ma mère, et mes oncles, qui m’aimaient autrefois si tendrement, ne font pas difficulté de s’unir contre moi, puis-je ou dois-je attendre la protection de votre mère, pour résister à leurs volontés. En vérité, ma tendre et fidèle amie, si vous permettez que je parle du ton le plus sérieux, je crains que, pour mes propres fautes, ou pour celles de ma famille, ou pour nos fautes communes, le ciel ne m’ait destinée à devenir une très-malheureuse créature : assez malheureuse pour être un exemple de sa justice ; car ne voyez-vous pas comment les vagues de l’affliction roulent sur ma tête avec une violence irrésistible ? Jusqu’à ces derniers temps d’agitation, nous avions tous été trop heureux. Nous ne connaissions pas d’autres traverses, ni d’autres chagrins que ceux dont tous les hommes portent la source en eux-mêmes, dans l’inquiétude