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lettre de ma mère, pour M Hunt, auquel il devait la remettre en main propre, avec ordre d’apporter sur le champ la réponse, il ne pût se dispenser d’exécuter sa commission. M Hunt ne rentre jamais chez lui qu’à trois heures, et la distance est considérable du château d’Harlove à sa maison. Robert, avec toute sa diligence, revint si tard qu’il étoit impossible de le renvoyer. Je lui donnai ordre seulement de partir ce matin à la pointe du jour ; et, s’il trouvait quelque lettre, de me l’apporter à toute bride. L’impatience m’a fait passer une fort mauvaise nuit. Je suis demeurée au lit plus long-temps qu’à l’ordinaire ; et je ne faisais qu’en sortir, lorsque Robert m’a remis vos trois lettres. On commençait à m’habiller. J’ai tout interrompu ; et, quoique assez longues, je les ai lues d’un bout à l’autre, en m’arrêtant souvent néanmoins, pour m’emporter à haute voix contre les enragés à qui vous êtes livrée. Que mon cœur les méprise ! Quelle bassesse dans le dessein d’encourager Solmes, par une entrevue pour laquelle ils avoient extorqué votre consentement ! Je suis fâchée, extrêmement fâchée contre votre tante Hervey. Renoncer avec cette mollesse à son propre jugement ! Ne pas rougir même de se rendre l’instrument de la malignité des autres ! Mais voilà le monde. Je les reconnais si bien ! Je ne reconnais pas moins ma mère. Après sa fille, il n’y a personne qui ait plus de part que vous à son estime : cependant tout se réduit à dire : Nancy, n’avons-nous pas assez de nos propres affaires ? Pourquoi nous mêler de celles d’autrui ? D’autrui ! Que ce mot est odieux pour moi, lorsqu’il est question de l’amitié, et d’accorder une protection qui peut être si importante pour une amie, sans qu’il y ait rien d’essentiel à redouter pour soi-même ! Je suis charmée néanmoins de votre courage. Je n’en attendais pas tant de vous ; ni eux, j’en suis sûre : et peut-être n’en auriez-vous pas tant trouvé dans vous-même, si l’avis de Lovelace sur le quartier destiné à la nourrice , n’avait un peu servi à l’exciter. Je ne m’étonne point que le misérable n’en ait que plus d’amour pour vous. Quel honneur d’être le mari d’une telle femme ! Le mariage, après tout, le rendra votre égal. Cet homme-là, comme vous dites, doit être un vrai sauvage. Cependant sa persévérance le rend moins blâmable que ceux de votre famille pour lesquels vous avez le plus de respect. Il est heureux pour moi, comme je l’ai répété souvent, de n’être point exposée à des épreuves de cette nature. Il y aurait long-temps, peut-être, que j’aurais suivi le conseil de votre cousine. Mais c’est une corde que je n’ose toucher. J’aimerai toujours cette excellente fille, pour la tendresse qu’elle vous a marquée. Je ne sais que vous dire de Lovelace, ni que penser de ses promesses et de ses propositions. Il est certain que toute sa famille a pour vous les sentimens d’une haute estime. Les dames jouissent d’une réputation sans tache. Milord M, autant qu’on peut le dire des hommes et des pairs , est un homme d’honneur. à tout autre que vous, je ne ferais pas difficulté de donner des conseils. Mais on a de vous une opinion si relevée ! Votre mérite est d’un éclat si singulier ! Quitter la maison de votre père, et vous jeter sous la protection d’une famille, honorable à la vérité, mais dans laquelle il se trouve un homme dont on peut penser que les qualités extraordinaires, les vues et les déclarations, ont engagé votre plus forte estime ! Il me semble que je vous conseillerais plus volontiers de vous rendre