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propre satisfaction. Mon frère et ma sœur, qui étoient rarement d’accord, paroissent tellement unis, et sont si souvent ensemble, ( cabalent

est le terme qui est échappé à ma mère, comme sans y penser) qu’elle tremble pour les conséquences. Ses tendres alarmes tombent peut-être sur moi, parce qu’elle remarque à tout moment qu’ils me regardent avec plus de froideur et de réserve. Cependant, si elle voulait prendre sur elle-même d’employer cette autorité que lui donne la supériorité de ses lumières, toutes ces semences de divisions domestiques pourraient être étouffées dans leur naissance ; sur-tout étant aussi sûre qu’elle peut l’être d’une soumission convenable de ma part, non-seulement parce qu’ils sont mes aînés, mais encore pour l’amour d’une si tendre et si excellente mère. Car si je puis vous dire, ma chère, ce que je ne dirais pas à toute autre au monde, je suis persuadée que si elle avait été d’un caractère à vouloir souffrir moins, elle n’aurait pas été exposée à la dixième partie de ses peines. Ce n’est pas faire l’éloge, me direz-vous, de la générosité de ceux qui sont capables de faire tourner à son propre tourment tant de bonté et de condescendance de sa part. En vérité, je suis quelquefois tentée de croire qu’il est en notre pouvoir de nous faire accorder ce que nous désirons, et respecter autant qu’il nous plaît, en prenant seulement des manières brusques pour déclarer nos volontés. On en est quitte pour être moins aimé ; voilà le pis-aller : et si l’on se trouve en état d’obliger ceux à qui l’on peut avoir à commander, on ne s’appercevra pas même qu’ils nous refusent ce sentiment. Nos flatteurs ne nous reprocheront rien moins que nos fautes. S’il n’y avait pas de vérité dans cette observation, est-il possible que mon frère et ma sœur pussent rendre, jusqu’à leurs torts et leurs emportemens, d’une si grande importance pour toute la famille ? " comment cela sera-t-il pris par mon fils, par mon neveu ? Que dira-t-il là-dessus ? Il faut savoir ce qu’il en pense ". Ce sont des réflexions qui précèdent chaque démarche de ses supérieurs, dont les volontés devraient être une règle pour les siennes. Il peut fort bien se croire en droit d’attendre cette déférence de tout le monde, lorsque mon père, qui est d’ailleurs si absolu, veut bien s’y assujettir constammant, sur-tout depuis que la bonté de sa marraine a mis dans l’indépendance un esprit qui n’a jamais trop connu la soumission. Mais où ces réflexions peuvent-elles me conduire ? Je sais que, de toute notre famille, vous n’aimez que ma mère et moi ; et supérieure au déguisement comme vous l’êtes, vous me le faites sentir plus souvent que je ne le souhaiterois. Dois-je donc augmenter vos dégoûts pour ceux en faveur desquels je voudrais vous voir mieux disposée ? Je parle sur-tout pour mon père ; car, s’il ne peut souffrir la moindre contradiction, il est excusable. Il n’est pas naturellement de mauvaise humeur : et lorsqu’il n’est pas dans la torture de ses accès de goutte, on reconnait aisément dans son air, dans ses manières et dans son entretien, l’homme de naissance et d’éducation. Notre sexe, peut-être, doit s’attendre à souffrir, si j’ose le dire, un peu de rudesse de la part d’un mari, à qui on laisse voir, comme à un amant, la préférence, qu’on lui donne dans son cœur, sur tous les autres hommes. Qu’on fasse passer tant qu’on voudra la générosité pour une vertu des hommes. Mais dans le fond, ma chère, j’ai observé jusqu’aujourd’hui qu’une fois sur dix, on n’en trouve pas dans ce sexe autant que dans le nôtre. à l’égard de mon père, son humeur naturelle a été un peu