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Par l’ordre de qui ? De votre père et de votre mère. Qui m’assurera que cet ordre vient d’eux ? Elle allait passer dans mon cabinet. Je l’ai prévenue. Touchez à quelque chose ici, si vous l’osez. Miss Dolly est entrée à l’instant. Hélas ! Oui, chère miss, m’a dit cette tendre amie, les larmes aux yeux ; il faut remettre votre plume et votre encre à Betty ou à moi. Le faut-il, chère cousine ? Je vais donc vous les donner ; mais ce ne sera point à cette effrontée. J’ai remis mon écritoire entre ses mains. Je suis au désespoir, m’a dit la triste miss, de ne vous apporter que des ordres fâcheux : mais votre père ne veut plus vous souffrir dans cette maison. Il a juré que demain, ou samedi au plus tard, vous serez menée chez mon oncle Antonin. On ne vous enlève vos plumes et votre encre que pour vous ôter le moyen d’en avertir personne. Elle m’a quittée d’un air plus triste encore que son discours, chargée de mon écritoire garnie, et d’un paquet de plumes qu’on avait observé dans la recherche d’hier, et qu’elle avait reçu ordre de me demander particuliérement. C’est un bonheur que, n’ayant point eu besoin d’en prendre depuis, parce que j’en ai caché une douzaine d’autres en différens endroits, le paquet se soit trouvé entier ; car je ne doute pas qu’ils n’eussent pris soin de les compter. Betty est demeurée près de moi, pour me raconter que ma mère est à présent aussi animée contre moi qu’aucun autre ; que mon sort est décidé ; que la violence de ma conduite ne m’a laissé aucun défenseur ; que M Solmes se mord les lèvres, murmure, et paraît, dit-elle, rouler plus d’idées dans sa tête qu’il ne lui échappe de paroles. Elle prétend néanmoins que ce cruel persécuteur a pris plaisir à me voir, quoique sûr du tourment qu’il me cause, et qu’il demande à me voir encore. Ne faut-il pas, ma chère, que cet homme soit un vrai sauvage ? Elle dit que mon oncle Harlove a déclaré qu’il m’abandonnait : qu’il prend pitié de M Solmes ; mais qu’il lui recommande néanmoins de ne pas se ressentir un jour de mon mépris : que mon oncle Antonin est d’avis, au contraire, que je dois en porter la peine : que, pour elle, qui appartient aussi à la famille, elle ne me cache pas qu’elle serait volontiers de la même opinion. Comme il ne me reste point d’autre voie que la sienne pour être informée de leurs discours et de leurs desseins, j’ai quelquefois une patience que je n’aurais pas dans d’autres tems pour ses effronteries. Dans le fond, il semble que mon frère et ma sœur l’admettent à tous leurs conseils. Miss Hervey est remontée, à ce moment, pour me demander une provision d’encre qu’ils se sont souvenus d’avoir remarquée dans mon cabinet. Je n’ai pas hésité à la donner. Moins ils me soupçonneront de pouvoir écrire, plus j’espère qu’ils auront de penchant à m’accorder quelque délai. Vous voyez, ma chère, quelle est à présent ma situation. Tout mon espoir, toute ma confiance est dans la faveur de votre mère. Si je perds cette ressource, j’ignore ce que je puis devenir : et qui sait, de momens en momens, à quoi votre malheureuse amie doit s’attendre ?