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Cependant elle n’aime point à nuire : elle est portée au contraire à rendre service, et l’art de concilier a toujours été son talent. Si elle me voulait autant de mal que je me le figure, peut-être ne serais-je plus chez mon père : ce qu’elle ne dit pas néanmoins pour se faire un mérite auprès de moi ; car, au fond, il serait de mon avantage que l’affaire fût promptement terminée : elle y trouverait du moins le sien, elle et tout le monde ; cela est certain. Pour finir là-dessus, vient-elle de me dire encore, elle pouvait me donner un avis : quoique mon départ ne soit pas éloigné, on pensait à m’ ôter ma plume et mon encre ; et lorsque j’aurais perdu cet amusement, on verrait quel emploi un esprit aussi actif que le mien pouvait faire de son tems. Ce discours, qu’elle a peut-être lâché au hasard, fait tant d’impression sur moi, que je vais commencer sur le champ à cacher en différens lieux, des plumes, de l’encre et du papier. J’en mettrai même une provision dans quelque cabinet du jardin, si j’y trouve un endroit sûr. Au pis aller, j’ai quelques crayons, qui me servent à dessiner ; et mes patrons me tiendront lieu de papier, s’il ne m’en reste pas d’autre. J’admire effectivement le bonheur que j’ai eu de me défaire de mes écrits. On a fait une recherche des plus exactes : je m’en aperçois au désordre que je trouve dans tous mes tiroirs. Vous savez que j’aime la méthode, et que, l’étendant jusqu’aux bagatelles, je retrouverais, les yeux fermés, un bout de dentelle ou de ruban. J’ai remarqué la même confusion dans mes livres, qu’ils ont étrangement déplacés, en regardant par derrière, ou peut-être en les ouvrant. Mes habits n’ont pas été plus ménagés, et je vois que rien ne leur est échappé. C’est aux soins de votre amitié que j’ai l’obligation de l’inutilité de leur peine. Ma main s’arrête de fatigue et de pesanteur ; mais le terme d’ obligation me ranime, pour vous dire, que je suis, à toutes sortes de titres, votre très-obligée et très-fidèle amie, Clarisse Harlove.



Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

mercredi, 5 d’avril, à onze heures. Je suis réduite à dérober quelques momens pour vous écrire, et à faire usage de mes provisions secrètes. On n’a pas manqué d’enlever tout ce qu’on a pu trouver de plumes et de papier dans mon appartement. C’est un récit auquel je reviendrai bientôt. Il n’y a pas plus d’une heure que j’ai porté ma longue lettre au dépôt. J’y ai mis en même tems un billet pour M Lovelace, où, dans la crainte que son impatience ne le porte à quelque témérité, je lui apprends, en quatre lignes, " que l’entrevue est passée, et que je commence à me flatter que la fermeté de mon refus fera perdre courage à M Solmes et à ses protecteurs ". Quoique l’excès de mes fatigues, et la nuit que j’ai passée presque entière à vous écrire, m’aient fait demeurer si long-temps au lit, que je n’ai pu faire partir plutôt ma lettre, j’espère que vous la recevrez assez tôt pour trouver le temps de me répondre ce soir, ou demain de grand matin. Ma plus vive impatience à présent, c’est de savoir si je puis compter ou