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monsieur, lui ai-je dit, si je vous interromps ; mais quelle est votre intention, je vous prie, en me lisant cette lettre ? De vous apprendre, a répondu pour lui mon oncle, quel est le méprisable personnage à qui l’on croit que votre cœur s’abandonne. Si l’on me soupçonne, monsieur, d’avoir disposé de mon cœur en faveur d’un autre, quelles peuvent être les espérances de M Solmes ? écoutez seulement, a repris ma tante, écoutez ce que M Solmes va lire, et ce qu’il est en état de vous apprendre. Si M Solmes a la bonté de déclarer qu’il n’a aucune vue d’intérêt propre, je l’écouterai volontiers : mais s’il me laisse penser autrement, vous me permettrez, madame, de lui dire que cette raison doit affoiblir beaucoup dans mon esprit ce qu’il veut me lire ou m’apprendre. écoutez-le seulement, a répété ma tante. Quoi, vous ne sauriez l’écouter ? M’a dit mon oncle : vous êtes si vive à prendre parti pour… pour tous ceux, monsieur, qui sont accusés par des lettres anonymes et par des motifs d’intérêt. M Solmes a commencé sa lecture. La lettre paroissait contenir une multitude d’accusations contre le pauvre criminel : mais j’ai interrompu cette inutile rapsodie. Ce n’est pas ma faute, ai-je dit, si celui qu’on accuse ne m’est pas aussi indifférent qu’un homme que je n’aurais jamais vu. Je n’explique point quels sont mes sentimens pour lui ; mais s’ils étoient tels qu’on les suppose, il faudrait les attribuer aux étranges méthodes par lesquelles on a voulu les prévenir. Qu’on accepte l’offre que je fais de me réduire au célibat ; il ne me sera jamais rien de plus que M Solmes. Mon oncle est revenu à prier M Solmes de lire, et à me presser de l’écouter. Que servira sa lecture ? Ai-je dit. Peut-il désavouer qu’il n’ait des vues ? Et, d’ailleurs, que m’apprendra-t-il de pire, que ce que je n’ai pas cessé d’entendre depuis plusieurs mois ? Oui, m’a dit mon oncle ; mais il est en état de vous en fournir les preuves. C’est donc sans preuves, ai-je répliqué, qu’on a décrié jusqu’à présent le caractère de M Lovelace ? Je vous prie, monsieur, de ne me pas donner trop bonne opinion de lui ; vous m’exposez à la prendre, lorsque je vois tant d’ardeur à le faire paraître coupable, dans un adversaire qui ne se propose point assurément sa réformation, et qui ne pense ici qu’à se rendre service à lui-même. Je vois clairement, m’a dit mon oncle, votre prévention, votre folle prévention, en faveur d’un homme qui n’a aucun principe de morale. Ma tante s’est hâtée d’ajouter que je ne vérifierais que trop toutes les craintes, et qu’il était surprenant qu’une jeune personne d’honneur et de vertu eût pris tant d’estime pour un homme du caractère le plus opposé. J’ai repris avec le même empressément : très-chère madame, ne tirez point une conclusion si précipitée contre moi. Je crois M Lovelace fort éloigné du point de vertu dont la religion lui fait un devoir ; mais, si chacun avait le malheur d’être observé dans toutes les circonstances de sa vie, par des personnes intéressées à le trouver coupable, je ne sais de qui la réputation serait à couvert. J’aime un caractère vertueux, dans les hommes comme dans les femmes. Je le crois d’une égale nécessité dans les deux sexes ; et si j’avais la liberté de disposer de moi, je le pré