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Je conviens de tout, ai-je répondu. Je reçois tous les noms qui peuvent m’être donnés, et je reconnais que je les mérite. J’avoue mon indignité à l’égard de M Solmes. Je lui crois, sur votre témoignage, des qualités extraordinaires, que je n’ai le temps ni la volonté d’examiner. Mais je ne puis le remercier de sa médiation, parce que je crois voir avec la dernière clarté (en regardant mon oncle) qu’il se fait ici auprès de tout le monde un mérite à mes dépens. Et me tournant vers mon frère, que ma fermeté semblait avoir réduit au silence ; je reconnais aussi, monsieur, la surabondance de vos soins : mais je vous en décharge, aussi long-temps du moins que le ciel me conservera des parens plus proches et plus chers ; parce que vous ne m’avez pas donné sujet de penser mieux de votre prudence que de la mienne. Je suis indépendante de vous, monsieur, quoique je ne veuille jamais l’être de mon père. à l’égard de mes oncles, je désire ardemment leur estime et leur affection, et c’est tout ce que je désire d’eux. Je le répète, monsieur, pour votre tranquillité et pour celle de ma sœur. à peine avois-je fini ces derniers mots, que Betty, entrant d’un air empressé, et jetant sur moi un coup d’œil aussi dédaigneux que j’aurais pu l’attendre de ma sœur, a dit à mon frère, qu’on souhaitait de lui dire deux mots dans la chambre voisine. Il s’est approché de la porte, qui était demeurée entr’ouverte ; et j’ai entendu cette foudroyante sentence, de la bouche de celui qui a droit à tout mon respect : mon fils, que la rebelle soit conduite à l’instant chez mon frère Antonin ; à l’instant, dis-je. Je ne veux pas qu’elle soit ici dans une heure. J’ai tremblé ; j’ai pâli, sans doute. Je me suis sentie prête à m’évanouir. Cependant, sans considérer ce que j’allais faire, ni ce que j’avais à dire, j’ai recueilli toutes mes forces pour m’élancer vers la porte ; et je l’aurais ouverte, si mon frère, qui l’avait fermée en me voyant avancer vers lui, ne s’était hâté de mettre la main sur la clé. Dans l’impossibilité de l’ouvrir, je me suis jetée à genoux, les bras et les mains étendus contre la cloison. ô mon père ! Mon père ! Me suis-je écriée, recevez-moi du moins à vos pieds. Permettez-moi d’y plaider ma cause. Ne rejetez pas les larmes de votre malheureuse fille ! Mon oncle a porté son mouchoir à ses yeux. M Solmes a fait une grimace d’attendrissement qui rendait son visage encore plus hideux. Mais le cœur de marbre de mon frère n’a pas été touché. Je demande grâce à genoux, ai-je continué ; je ne me léverai pas sans l’avoir obtenue : je mourrai de douleur dans la posture où je suis. Que cette porte soit celle de la miséricorde. Ordonnez, monsieur, qu’elle soit ouverte ; je vous en conjure, cette fois, cette seule fois, quand elle devrait m’être ensuite fermée pour jamais. Quelqu’un s’est efforcé d’ouvrir de l’autre côté ; ce qui a obligé mon frère d’abandonner tout d’un coup la clé : et moi, qui continuais de pousser la porte dans la même posture, je suis tombée sur le visage dans l’autre salle, assez heureusement néanmoins pour ne me pas blesser. Tout le monde en était sorti, à l’exception de Betty, qui m’a aidée à me relever. J’ai jeté les yeux sur toutes les parties de la chambre, et n’y voyant personne, je suis rentrée dans l’autre, appuyée sur Betty, et je me suis jetée sur la première chaise. Un déluge de pleurs a servi beaucoup à me soulager. Mon oncle, mon frère et M Solmes m’ont quittée, pour aller rejoindre mes autres juges.