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t-il dit, l’interprétation que le dépit me faisait donner à ses soins fraternels, aux efforts qu’il faisait, et qui lui réussissaient si mal, pour me sauver de ma ruine ? Oui, n’ai-je pas balancé à lui répondre ; il est impossible autrement d’expliquer tous les traitemens que je reçois de vous : et je ne fais pas difficulté de répéter devant vous à mon oncle, comme je le dirai aussi à mon oncle Jules, lorsqu’il me sera permis de le voir, que je les prie tous deux de faire tomber leurs bienfaits sur vous et sur ma sœur, et de ne réserver pour moi que des regards et des expressions tendres, unique bien que je désire pour me croire heureuse. Si vous les aviez vus se regarder mutuellement avec une sorte d’admiration ! Mais en présence de Solmes, pouvais-je m’expliquer avec moins de force ? Et quant à vos soins, monsieur, ai-je continué, en parlant à mon frère, je vous assure encore qu’ils sont inutiles. Vous n’êtes que mon frère. Grâces au ciel, mon père et ma mère sont pleins de vie ; et quand j’aurais le malheur de les perdre, vous m’avez mise en droit de vous déclarer que vous seriez le dernier homme du monde à qui je voulusse abandonner le soin de mes intérêts. " comment, ma nièce, a répondu mon oncle, un frère unique n’est-il rien pour vous ? N’est-il pas comptable de l’honneur de sa sœur, et de celui de sa famille " ? Mon honneur, monsieur, est indépendant de ses soins. Mon honneur n’a jamais été en danger avant le soin qu’il en a voulu prendre. Pardon, monsieur ; lorsque mon frère saura se conduire en frère, ou du moins en galant homme, il pourra s’attirer de moi plus de considération que je ne crois lui en devoir aujourd’hui. J’ai cru mon frère prêt à se jeter furieusement sur moi. Mon oncle lui a fait honte de sa violence ; mais il n’a pu l’empêcher de me donner des noms fort durs, et de dire à M Solmes, que j’étais indigne de son attention. M Solmes a pris ma défense avec une chaleur qui m’a surprise. Il a déclaré qu’il ne pouvait supporter que je fusse traitée sans aucun ménagement. Cependant il s’est expliqué dans des termes si forts, et mon frère a paru se ressentir si peu de cette chaleur, que j’ai commencé à le soupçonner d’artifice. Je me suis imaginée que c’était une invention concertée pour me persuader que j’avais quelque obligation à M Solmes ; et que l’entrevue même pouvait n’avoir été sollicitée que dans cette espérance. Le seul soupçon d’une ruse si basse aurait suffi pour me causer autant d’indignation que de mépris ; mais il s’est changé en certitude, lorsque j’ai entendu mon oncle et mon frère qui s’épuisaient en complimens, non moins affectés sur la noblesse du caractère de M Solmes, et sur cet excès de générosité qui lui faisait rendre le bien pour le mal. J’ai dédaigné de leur faire connaître ouvertement que je pénétrais leur intention. Vous êtes heureux, monsieur, ai-je dit à mon défenseur, de pouvoir acquérir si facilement des droits sur la reconnaissance de toute une famille ; mais exceptez-en néanmoins celle que votre dessein est particulièrement d’obliger. Comme ses disgrâces ne viennent que de la faveur même où vous êtes, elle ne croit pas vous avoir beaucoup d’obligation lorsque vous la défendez contre la violence d’un frère. On m’a traitée d’incivile, d’ingrate, d’indigne créature.