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disant, d’une voix haute, pour donner du crédit à M Solmes, " que je vous serve d’introducteur, mon cher ami " ; et le conduisant en effet par la main, tandis que le galant personnage suivait lourdement, mais un peu en dehors et à petits pas doublés, pour éviter de marcher sur les talons de son guide. Pardonnez, ma chère, une raillerie assez déplacée ; vous savez que tout paraît choquant dans l’objet d’une juste aversion. Je me suis levée. Mon oncle avait l’air chagrin. Asseyez-vous, m’a-t-il dit, asseyez-vous : et tirant une chaise près de la mienne, il y a fait asseoir son ami, qui voulait d’abord s’en défendre. Ensuite il s’est assis lui-même vis-à-vis de lui, c’est-à-dire à mon autre côté. Il a pris ma main dans les siennes : " hé bien ! Ma nièce, il nous reste peu de chose à dire de plus sur un sujet qui paraît vous être si désagréable ; à moins que vous n’ayez profité du temps pour faire de plus sages réflexions. Je veux savoir d’abord ce qui en est ". Le sujet, monsieur, ne demande point de réflexions. " fort bien, fort bien, mademoiselle, (en quittant ma main). Me serais-je jamais attendu à cette obstination " ? Au nom du ciel, chère mademoiselle ! M’a dit affectueusement M Solmes, en joignant les mains : la voix lui a manqué pour finir sa pensée. Au nom du ciel, monsieur. Et qu’a de commun, s’il vous plaît, l’intérêt du ciel avec le vôtre ? Il est demeuré en silence. Mon oncle ne pouvait être que fâché ; et c’est ce qu’il était déjà auparavant. " allons, allons, s’adressant à M Solmes, il ne faut plus penser aux supplications. Vous n’avez point autant d’assurance que je le voudrais, pour attendre ce que vous méritez d’une femme ". Et se tournant vers moi, il a commencé à s’étendre sur tout ce qu’il s’était proposé de faire en ma faveur. C’était pour moi, plus que pour son neveu ou son autre nièce, qu’après son retour des Indes, il avait pris le parti du célibat ; mais puisqu’une fille perverse méprisait les avantages qu’il avait été disposé à lui prodiguer, il était résolu de changer toutes ses mesures. Je lui ai répondu que j’étais pénétrée de reconnaissance pour ses obligeantes intentions ; mais que, dans mes principes, je préférais, de sa part, des regards et des expressions tendres à toutes ses autres faveurs. Il a jeté les yeux autour de lui, d’un air étonné. M Solmes avait la vue baissée, comme un criminel qui désespère de sa grâce. L’un et l’autre demeurant sans parler, j’étais fâchée, ai-je ajouté, que ma situation m’obligeât de hasarder des vérités qui pouvaient paraître dures ; mais j’avais raison de croire que, si mon oncle prenait seulement la peine de convaincre mon frère et ma sœur qu’il étoit déterminé à changer les généreuses vues qu’il avait eues en ma faveur, il pourrait obtenir pour moi, de l’un et de l’autre, des sentimens que je n’espérais pas dans une autre supposition. Mon oncle a témoigné que ce discours lui déplaisait : mais il n’a pas eu le tems d’expliquer ses idées. Mon frère, entrant aussi-tôt d’un air furieux, m’a donné plusieurs noms outrageans. Sa domination, qu’il voit si bien établie, paraît l’élever au-dessus des bienséances. étoit-ce là, m’a-