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frère : mais je dois à mon père autant d’obéissance que de respect, si je pouvais obéir. On sent croître sa tendresse pour ses amis, ma chère Miss Howe, lorsqu’ils prennent parti pour nous dans le malheur et l’oppression. J’ai toujours aimé ma cousine Dolly ; mais le tendre intérêt qu’elle prend à mes peines me l’a rendue dix fois plus chère. Je lui ai demandé ce qu’elle ferait à ma place. Elle m’a répondu, sans hésiter : " je prendrais sur le champ M Lovelace ; je me mettrais en possession de ma terre, et l’on n’entendrait plus parler de rien. " M Lovelace, m’a-t-elle dit, est un homme de mérite, à qui M Solmes n’est pas digne de rendre les plus vils offices. Elle m’a dit aussi " qu’on avait prié sa mère de me venir prendre au jardin, mais qu’elle s’en était excusée ; et qu’elle était trompée si je n’allais être jugée par toute l’assemblée de la famille. " je n’avais rien à souhaiter plus ardemment. Mais on m’a dit depuis, que mon père, ni ma mère, n’avoient pas voulu se hasarder à paraître : l’un, apparemment dans la crainte de s’emporter trop ; ma mère, par des considérations plus tendres. Nous sommes rentrées pendant ce tems-là dans la maison. Miss Hervey, après m’avoir accompagnée jusqu’à mon parloir, m’y a laissée seule, comme une victime dévouée à son mauvais sort. N’appercevant personne, je me suis assise ; et, dans mes tristes réflexions, j’ai eu la liberté de pleurer. Tout le monde était dans la salle voisine. J’ai entendu un mêlange confus de voix, les unes plus fortes, qui en couvraient de plus douces et plus tournées à la compassion. Je distinguais aisément que les dernières étoient celles des femmes. ô ma chère ! Qu’il y a de dureté dans l’autre sexe ! Comment des enfans du même sang deviennent-ils si cruels l’un pour l’autre ? Est-ce dans leurs voyages que le cœur des hommes s’endurcit ? Est-ce dans le commerce qu’ils ont ensemble ? Enfin comment peuvent-ils perdre les tendres inclinations de l’enfance ? Cependant ma sœur est aussi dure qu’aucun d’eux. Mais peut-être n’est-elle pas une exception non plus ; car on lui a toujours trouvé quelque chose de mâle dans l’air et dans l’esprit. Peut-être a-t-elle une ame de l’autre sexe, dans un corps du nôtre. Pour l’honneur des femmes, c’est le jugement que je veux porter, à l’avenir, de toutes celles qui, se formant sur les manières rudes des hommes, s’écartent de la douceur qui convient à notre sexe. Ne soyez pas étonnée, chère amie, de me voir interrompre mon récit par des réflexions de cette nature. Si je le continuais rapidement, sans me distraire un peu par d’autres idées, il me serait presque impossible de conserver du pouvoir sur moi-même. La chaleur du ressentiment prendrait toujours le dessus ; au lieu que, se refroidissant par ce secours, elle laisse à mes esprits agités le temps de se calmer, à mesure que j’écris. Je ne crois pas avoir été moins d’un quart d’heure livrée, seule et sans aucun soulagement, à mes tristes méditations, avant que personne ait paru faire attention à moi. Ils étoient comme en plein débat. Ma tante a regardé la première : ah ! Ma chère, a-t-elle dit, êtes-vous là ? Et, retournant aussi-tôt vers les autres, elle leur a dit que j’étais rentrée. Alors j’ai entendu le bruit diminuer ; et, suivant leurs délibérations, comme je le suppose, mon oncle Antonin est venu dans mon parloir, en