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Juste ciel ! S’est écrié Solmes, avec cent différentes contorsions de corps et de visage, quelle interprétation, mademoiselle, vous avez la cruauté de donner à mes sentimens ! Une interprétation juste, monsieur ; car celui qui peut voir et approuver qu’une personne pour laquelle il s’attribue quelques sentimens d’estime soit aussi mal traitée que je le suis, doit être capable de la traiter de même : et faut-il d’autre preuve de votre approbation, que votre persévérance déclarée, lorsque vous savez si bien que je ne suis bannie, renfermée, accablée d’insultes, que dans la vue de m’arracher un consentement que je ne donnerai jamais ? Pardon, monsieur, (en me tournant vers mon oncle) je dois un respect infini au frère de mon père. Je vous demande pardon de ne pouvoir vous obéir. Mais mon frère n’est que mon frère. Il n’obtiendra rien de moi par la contrainte. Tant d’agitation m’avait jetée dans un extrême désordre. Ils commençaient à garder le silence autour de moi ; et se promenant par intervalles, dans un désordre aussi grand que le mien, ils paroissaient se dire, par leurs regards, qu’ils avoient besoin de se trouver ensemble pour tenir un nouveau conseil. Je me suis assise en me servant de mon éventail. Le hasard m’ayant placée devant une glace, j’ai remarqué que la couleur me revenait et m’abandonnait successivement. Je me sentais foible ; et dans la crainte de m’évanouir, j’ai sonné, pour demander un verre d’eau. Betty est venue. Je me suis fait apporter de l’eau, et j’en ai bu un plein verre. Personne ne semblait tourner son attention sur moi. J’ai entendu mon frère qui disait à Solmes : artifice, artifice : ce qui l’a peut-être empêché de s’approcher de moi, outre la crainte de n’être pas bien reçu. D’ailleurs, j’ai cru m’appercevoir qu’il était plus touché de ma situation que mon frère. Cependant ne me trouvant pas beaucoup mieux, je me suis levée ; j’ai pris le bras de Betty : soutenez-moi, lui ai-je dit ; et d’un pas chancelant, qui ne m’a point empêchée de faire une révérence à mon oncle, je me suis avancée vers la porte. Mon oncle m’a demandé où j’allois. " nous n’avons pas fini avec vous. Ne sortez pas. M Solmes a des informations à vous donner, qui vous surprendront, et vous n’éviterez pas de les entendre. " j’ai besoin, monsieur, de prendre l’air pendant quelques minutes. Je reviendrai, si vous l’ordonnez. Il n’y a rien que je refuse d’entendre. Je me flatte que c’est une fois pour toutes. Sortez avec moi, Betty. Ainsi, sans recevoir d’autre défense, je me suis retirée au jardin ; et là, me jetant sur le premier siège et me couvrant le visage du tablier de Betty, la tête appuyée sur elle, et mes mains entre les siennes, j’ai donné passage à la violence de ma douleur, par mes larmes : ce qui m’a peut-être sauvé la vie ; car je me suis sentie aussitôt soulagée. Je vous ai parlé tant de fois de l’impertinence de Betty, qu’il est inutile de vous fatiguer par de nouveaux exemples. Toute ma tristesse ne l’a point empêchée de prendre de grandes libertés avec moi, lorsqu’elle m’a vue un peu remise, et assez forte pour m’enfoncer plus avant dans le jardin. J’ai été obligée de lui imposer silence par un ordre absolu. Elle s’est tenue alors derrière moi de fort mauvaise humeur, comme j’en ai jugé par ses murmures.