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retournerez, jolie miss, vous retournerez, s’il vous plaît. Il n’est pas question d’être enterrée dans un caveau ; les instigations de votre frère n’empêcheront pas qu’il ne vous rende service. Ange tombé ! (en jettant les yeux de travers sur mon visage abattu). Tant de douceur dans cette physionomie, et tant d’obstination sous cette belle chevelure ! (en me frappant de la main sur le cou). Véritable femme, dans un âge si peu avancé ! Mais faites-y bien attention, (en baissant la voix, comme s’il eût voulu garder des bienséances devant M Solmes) vous n’aurez jamais votre libertin " : et, reprenant son premier ton, " cet honnête homme aura la bonté d’empêcher votre ruine ; vous bénirez quelque jour, ou vous aurez raison de bénir, sa condescendance ". Voilà le terme qu’un brutal de frère n’a pas rougi d’employer. Il m’avait menée jusqu’à M Solmes. Il a pris sa main, comme il tenait la mienne. " tenez, monsieur, lui a-t-il dit ; voici la main d’une rebelle. Je vous la donne. Elle confirmera ce don avant la fin de la semaine, ou je lui déclare qu’elle n’aura plus de père, de mère, ni d’oncles, dont elle puisse se vanter ". J’ai retiré le bras avec indignation. Comment donc, miss ? M’a dit mon impérieux frère. Comment donc, monsieur ? Quel droit avez-vous de disposer de ma main ? Si vous gouvernez ici tout le monde, votre empire ne s’étendra pas sur moi, dans un point, sur-tout, qui me touche uniquement, et dont vous n’aurez jamais la disposition. J’aurais voulu pouvoir dégager ma main d’entre les siennes ; mais il me la tenait trop serrée. Laissez-moi, monsieur ; vous me blessez cruellement. Votre dessein est-il d’ensanglanter la scène ? Je vous le répète, quel droit avez-vous de me traiter avec cette barbarie ? Il m’a secoué le bras, en jetant ma main comme en cercle, avec une violence qui m’a fait sentir de la douleur jusqu’à l’épaule. Je me suis mise à pleurer, et j’ai porté l’autre main à la partie affligée. M Solmes et mon oncle l’ont blâmé de cet emportement. Il a répondu qu’il ne pouvait résister à son impatience, et qu’il se souvenait de ce qu’il m’avait entendu dire de lui avant qu’il fût entré : qu’il n’avait fait d’ailleurs que me rendre une main que je ne méritais pas qu’il eût touchée ; et que cette affectation de douleur était un de mes artifices. M Solmes lui a dit qu’il renoncerait plutôt à toutes ses espérances, que de me voir traitée avec cette rigueur. Il s’est offert à plaider en ma faveur, en me faisant une révérence, comme pour demander mon approbation. Je lui ai rendu grâces de l’intention qu’il avait de me sauver de la violence de mon frère ; mais j’ai ajouté que je ne souhaitais pas d’avoir cette obligation à un homme dont la cruelle persévérance était l’occasion, ou du moins le prétexte, de toutes mes disgrâces. Que vous êtes généreux, M Solmes ! A repris mon frère, de prendre parti pour cet esprit indomptable. Mais je vous demande en grâce de persister. Je vous le demande, pour l’intérêt de notre famille, et pour le sien, si vous l’aimez. Empêchons-là, s’il se peut, de courir à sa ruine. Regardez-là ; pensez à ses admirables qualités. Tout le monde les reconnaît, et nous en avons fait notre gloire jusqu’à présent. Elle est digne de tous nos efforts pour la sauver. Deux ou trois attaques de plus,