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difficulté de vous dire qu’avec toute l’affection que nous avons pour vous, nous vous conduirions plutôt au tombeau que de voir vos intentions remplies ". Je m’engagerai à ne me marier jamais sans le consentement de mon père, sans le vôtre, monsieur, et sans celui de toute la famille. Vous ai-je jamais donné sujet de vous défier de ma parole ? Je suis prête à me lier ici par le plus redoutable serment… " par le serment conjugal, voulez-vous dire, et bientôt avec M Solmes ? Voilà le lien que je vous promets, ma nièce Clary ; et plus vous y ferez d’opposition, plus je vous assure que vous vous en trouverez mal ". Ce langage, et devant M Solmes, qui en a paru plus hardi, m’a vivement irritée. Hé bien ! Monsieur, ai-je répondu, c’est alors que vous pourrez me conduire au tombeau. Je souffrirai la mort la plus cruelle, j’entrerai de bon cœur dans le caveau de mes ancêtres, et je le laisserai fermer sur moi, plutôt que de consentir à me rendre misérable pour le reste de mes jours. Et vous, monsieur, me tournant vers M Solmes, faites attention à ce que je dis : il n’y a point de mort qui puisse m’effrayer plus que d’être à vous, c’est-à-dire, éternellement malheureuse. La fureur étincelait dans les yeux de mon oncle. Il a pris M Solmes par la main, et le tirant vers une fenêtre : " que cet orage ne vous surprenne point, cher Solmes ; n’en ayez pas la moindre inquiétude. Nous savons de quoi les femmes sont capables. " et relevant son exhortation par un affreux jurement : " le vent, a-t-il continué, n’est pas plus impétueux ni plus variable. Si vous ne croyez pas votre temps mal employé auprès de cette ingrate, j’engage ma parole que nous lui ferons baisser les voiles

je vous le promets ; " et

pour confirmer sa promesse, il a juré encore une fois. Ensuite venant à moi, qui m’étais approchée de l’autre fenêtre, pour me remettre un peu de mon désordre, la violence de son mouvement m’a fait croire qu’il m’allait battre. Il avait le poing fermé, le visage en feu, les dents serrées : " oui, oui, ma nièce, vous serez la femme de M Solmes : nous saurons bien vous y faire consentir, et nous ne vous donnons pas plus d’une semaine ". Il a juré pour la troisième fois. C’est l’habitude, comme vous savez, de la plupart de ceux qui ont commandé sur mer. Je suis au désespoir, monsieur, lui ai-je dit, de vous voir dans une si furieuse colère. J’en connais la source : ce sont les instigations de mon frère, qui ne donnerait pas néanmoins l’exemple d’obéissance qu’on exige de moi. Il vaut mieux que je me retire. Je crains de vous irriter encore plus ; car, malgré tout le plaisir que je prendrais à vous obéir, si je le pouvais, ma résolution est si déterminée, que je ne puis pas même souhaiter de la vaincre. Pouvais-je mettre moins de force dans mes déclarations devant M Solmes ? J’étais déjà près de la porte, tandis que, se regardant tous deux, comme pour se consulter des yeux, ils paroissaient incertains s’ils devaient m’arrêter ou me laisser sortir. Qui aurais-je rencontré dans mon chemin, que mon tyran de frère, qui avait prêté l’oreille à tout ce qui s’était passé ? Jugez de ma surprise, lorsque, me repoussant dans la chambre, et fermant la porte, après y être entré avec moi, il m’a saisi la main avec violence : " vous