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Cependant la bonté de votre mère est une ressource sur laquelle je compte encore. Si je puis seulement éviter de tomber dans les mains de l’un ou de l’autre jusqu’à l’arrivée de M Morden, la réconciliation sera aisée, et tout pourra se terminer heureusement. J’ai fait une réponse à M Lovelace, dans laquelle je lui recommande, s’il ne veut pas rompre avec moi pour jamais, d’éviter toutes les démarches téméraires, et de ne pas rendre de visite à M Solmes, qui puisse devenir l’occasion de quelque violence. Je lui confirme que je perdrai plutôt la vie, que de me voir la femme de cet homme-là. Mais, quelque traitement que je reçoive, et quelles que puissent être les suites de l’entrevue, j’exige que jamais il n’emploie les armes contre aucun de mes amis ; et je lui demande sur quel fondement il se croit autorisé à disputer le droit, à mon père, de me faire conduire chez mon oncle. J’ajoute néanmoins que je n’épargnerai ni les prières, ni l’invention, jusqu’à me procurer quelque maladie volontaire, pour me dispenser de ce fatal voyage. C’est demain mardi. Que les ailes du tems sont légères ! Que le jour qu’on redoute arrive toujours rapidement ! Je souhaiterais qu’un profond sommeil pût s’emparer de mes sens pendant vingt-quatre heures. Mais demain n’en serait pas moins mardi, avec toutes les horreurs dont je crains qu’il ne soit accompagné. Si vous recevez cette lettre avant que le nuage soit éclairci, je vous demande le secours de vos prières. Clarisse Harlove.



Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

mardi matin, à six heures. Le jour est venu. Que n’est-il heureusement fini ? J’ai passé une fort mauvaise nuit. à peine ai-je fermé l’œil un moment, sans cesse occupée de l’entrevue qui s’approche. La distance du tems, à laquelle on a bien voulu consentir, donne à l’assemblée un air solemnel, qui augmente mes alarmes. Comptez qu’un esprit capable de réflexion n’est pas toujours un avantage digne d’envie ; à moins qu’il ne soit accompagné d’une heureuse vivacité telle que la vôtre, qui fait jouir du présent, sans s’inquiéter trop de l’avenir. Mardi à 11 heures. J’ai reçu une visite de ma tante Hervey. Betty, avec son air mystérieux, m’avait dit que j’aurais, à l’heure du déjeûner, une dame que j’attendais peu, en me donnant lieu de croire que ce serait ma mère. Cet avis m’avait tellement émue, qu’un quart-d’heure après, lorsque j’ai entendu les pas d’une femme, que j’ai prise effectivement pour elle, ne pouvant expliquer les motifs de sa visite après une si longue séparation, j’ai laissé voir à ma tante toutes les marques d’un extrême désordre. Quoi, miss, m’a-t-elle dit en entrant, vous paroissez surprise ? En vérité, pour une fille d’esprit, vous vous faites d’étranges idées de rien : et me prenant la main : de quoi vous alarmez-vous ? De bonne foi, ma chère, vous tremblez. Savez-vous que vous ne serez plus propre à voir personne ? Rassurez-vous, chère Clary, en baisant mes joues. Prenez courage. Ces émotions frivoles, à l’approche de l’entrevue, vous feront juger