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d’un il faut convenir, on ne peut pas lui refuser cette justice , etc., pendant que tout le reste était prononcé avec plénitude de cœur. Ce caractère néanmoins, quoiqu’assez mauvais, ne répondant point assez aux intentions de ceux qui l’avoient demandé, parce qu’ils l’auraient souhaité encore plus odieux, mon frère et ma sœur craignirent plus que jamais, que la recherche de M Lovelace ne fût encouragée, puisque la plus fâcheuse partie de leurs informations était connue ou supposée lorsqu’il avait été présenté d’abord à ma sœur. Mais, par rapport à moi, je dois observer que, malgré le mérite qu’il voulait se faire à mes yeux de sa patience à supporter les mauvais traitemens de mon frère, je ne lui devais aucun compliment pour le porter à se réconcilier. Non qu’à mon avis il lui eût servi beaucoup de faire cette espèce de cour à mon frère ou à ma sœur ; mais on aurait pu attendre de sa politesse, et même de ses prétentions, comme vous en conviendrez, qu’il eût marqué de la disposition à faire quelque tentative dans cette vue. Au lieu de ce sentiment, il ne témoigna qu’un profond mépris pour l’un et pour l’autre, sur-tout pour mon frère, avec un soin affecté d’aggraver le sujet de ses plaintes. De mon côté, lui insinuer qu’il devait changer quelque chose à cette conduite, c’eût été lui donner un avantage dont il se serait prévalu, et que j’aurais été bien fâchée de lui avoir accordé sur moi. Mais je ne doutai pas que, ne se voyant soutenu de personne, son orgueil n’en souffrît bientôt, et qu’il ne prît le parti de discontinuer lui-même ses visites, ou de se rendre à Londres, qui avait été son séjour ordinaire avant qu’il se fût lié avec notre famille. Et dans ce dernier cas, il n’avait aucune raison d’espérer que je voulusse recevoir ses lettres, et bien moins y répondre, lorsque l’occasion de ce commerce serait tout-à-fait supprimée. Mais l’antipathie de mon frère ne me permit point d’attendre cet événement. Après divers excès, auxquels M Lovelace n’opposa que le mépris, avec un air de hauteur qui pouvait passer pour une attaque, mon frère s’emporta un jour jusqu’à lui barrer l’entrée de la porte, comme s’il eût voulu s’opposer à son passage ; et l’entendant parler de moi au portier, il lui demanda ce qu’il avait à démêler avec sa sœur. L’autre, d’un air de défi, comme mon frère l’a raconté, lui dit qu’il n’y avait pas de question à laquelle il ne fût prêt de répondre, mais qu’il priait M James Harlove , qui s’était donné depuis peu d’assez grands airs, de se souvenir qu’ils n’étoient plus au collége. Heureusement le bon docteur Lewin , qui m’honore souvent de ce qu’il appelle une visite de conversation, et qui sortait en ce moment de mon parloir se trouva près de la porte. N’ayant que trop entendu leurs discours, il se mit entr’eux, dans le temps qu’ils portaient tous deux la main sur leurs épées. M Lovelace, à qui il apprit où j’étais, passa brusquement devant mon frère, qu’il avait laissé, me dit-il, dans l’état d’un sanglier échauffé que la chasse a mis hors d’haleine. Cet incident nous alarma tous. Mon père insinua honnêtement à M Lovelace, et moi, par l’ordre de mon père, je lui dis beaucoup plus ouvertement, que pour la tranquillité de notre famille, on souhaitait qu’il discontinuât ses visites. Mais M Lovelace n’est pas un homme à qui l’on fasse abandonner si facilement ses desseins, sur tout ceux dans lesquels il prétend que son cœur est engagé. N’ayant pas reçu de défense absolue, il ne changea rien à ses assiduités ordinaires. Je conçus parfaitement que refuser ses visites, que j’évitai néanmoins aussi souvent qu’il me fut