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cette occasion, la moindre défiance de moi-même ; mais que M Lovelace ne doit pas néanmoins s’attribuer l’honneur du sacrifice : que si mes amis m’abandonnent seulement à moi-même, j’attache un trop grand prix à ma liberté et à mon indépendance, pour les soumettre à un homme si impétueux, qui m’apprend d’avance à quoi je devrais m’attendre, s’il avait quelque empire sur moi. " je lui déclare à quel point je désapprouve les moyens qu’il emploie pour se faire informer de ce qui se passe dans le sein d’une famille. J’ajoute que le prétexte de corrompre les domestiques d’autrui, par voie de représailles pour les espions qu’on a placés près de lui, n’est qu’une misérable excuse, une bassesse justifiée par une autre bassesse : que, de quelque manière qu’il plaise à chacun d’interpréter ses propres actions, il y a des règles indépendantes qui constituent le droit et le tort. Condamner une injustice, et se croire autorisé à la payer d’une autre, qu’est-ce autre chose que répandre une corruption générale ? S’il n’y a pas un point où quelqu’un s’arrête, après s’être fait beaucoup de mal tour à tour, il faut dire adieu nécessairement à toute vertu. Pourquoi ne serait-ce pas moi, doit penser une belle ame, qui m’arrêterai la première à ce point ? " je lui laisse à juger si, mesuré par cette règle, il a droit de se mettre au rang des belles ames ; et si, connaissant l’impétuosité de son caractère et le peu d’apparence qu’il parvienne jamais à se réconcilier avec ma famille, je dois flatter ses espérances. " je lui dis que tous ces défauts et toutes ces taches ne peuvent me faire désirer que pour son seul avantage, de le voir dans des principes plus justes et plus naturels, et que j’ai un véritable mépris pour un grand nombre de libertés qu’il est en possession de s’accorder : que nos caractères, par conséquent, sont extrêmement opposés ; et qu’à l’égard de ses promesses de réformation, tant d’aveux, qui ne sont suivis d’aucun changement réel, ne sont pour moi qu’un langage spécieux, qu’il lui est bien plus aisé de tenir, que de justifier ou de corriger ses erreurs : que j’ai appris depuis peu (en effet, je l’ai su de Betty, qui le tient de mon frère) qu’il prend quelquefois la folle liberté de déclamer contre le mariage : je lui en fais un reproche fort vif, et je lui demande dans quelle vue il peut s’abandonner à ces indignes railleries, et penser en même temps à m’adresser ses soins. " si je suis obligée, lui dis-je, de me rendre chez mon oncle Antonin, il n’en doit pas conclure que je serai nécessairement mariée à M Solmes ; parce qu’au contraire j’aurai moins à combattre dans mon propre cœur, pour m’échapper d’une maison où je serai menée malgré moi, que pour abandonner celle de mon père ; et dans les plus fâcheuses suppositions, je trouverai le moyen de tenir mes persécuteurs en suspens jusqu’à l’arrivée de M Morden, qui aura droit, si je l’exige, de me mettre en possession de l’héritage de mon grand-père ". Il y a peut-être un peu d’artifice dans cette conclusion. Ma principale vue est de lui faire abandonner ses projets de violence ; car au fond, si je suis enlevée d’ici avec connaissance, ou peut-être sans aucun sentiment, et livrée à l’empire de mon frère et de ma sœur, j’espère peu qu’ils n’emplaient pas la force pour m’engager à M Solmes. Sans cette crainte funeste, si je pouvais me promettre de gagner du tems, soit par des prétextes bien ménagés, soit, pour dernière ressource, en prenant