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se promettre de vous, et lorsque vos parens ne s’en croiront pas moins sûrs, il faudra bien que l’un se retire, et que les autres composent sur des offres qui vous coûteront quelque chose à remplir, ou je suis trompée, quand vous serez délivrée de la plus rude de vos peines. Je me rappelle plusieurs endroits de vos dernières lettres, et même des premières, qui m’autorisent à vous tenir ce langage ; mais, dans les circonstances où vous êtes, ce que je pourrais dire là-dessus serait hors de saison. Ma conclusion, c’est que je suis indignée jusqu’au transport, de vous voir le jouet de la cruauté d’un frère et d’une sœur. Après tant d’épreuves et de témoignages de votre fermeté, quelle peut être leur espérance ? J’approuve l’idée qui vous est venue de mettre hors de leurs atteintes les lettres et les papiers qui ne doivent pas tomber sous leurs yeux. Il me semble que vous pourriez penser aussi à porter au dépôt une partie de vos habits et de votre linge, avant le jour de votre entrevue avec Solmes, de peur qu’ensuite il ne vous devienne plus difficile d’en trouver l’occasion. Robert me l’apportera au premier ordre, soit de jour ou de nuit. Si l’on vous pousse à l’extrémité, je ne suis pas sans espérance d’engager ma mère à vous recevoir ici secrètement. Je lui promets indulgence pour indulgence ; c’est-à-dire, de voir de bon œil et même de bien traiter son favori. Je roule depuis quelque temps ce projet dans ma tête ; mais je n’ose encore vous assurer du succès. Cependant n’en désespérez pas. Votre querelle avec Lovelace pourra beaucoup y contribuer ; et vos dernières offres, dans la lettre de dimanche à votre oncle, seront pour elle un second motif. Je compte sur votre pardon, pour tous les petits écarts d’une amie naturellement trop vive, mais dont le cœur est lié au vôtre par une parfaite sympathie, Anne Howe.



Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

vendredi, 31 de mars. Vous m’avez rendu un compte fort obligeant de votre silence. Les malheureux sont toujours dans le doute, toujours portés à changer les accidens les plus inévitables en froideur et en négligence, sur-tout de la part de ceux dont ils souhaitent de conserver l’estime. Je suis sûre que ma chère Anne Howe ne sera jamais du nombre de ces amies qui ne s’attachent qu’à la prospérité : cependant son amitié m’est si précieuse, que je peux douter du moins si je mérite qu’elle me soit conservée. Vous m’accordez si généreusement la liberté de vous gronder, que je crains de la prendre. Je me défierais plus volontiers de mon propre jugement, que de celui d’une chère amie, dont l’ingénuité à reconnaître ses fautes, la met au-dessus du soupçon d’en commettre de volontaires. Je tremble presque à vous demander si vous ne vous trouvez pas trop cruelle, trop peu généreuse, dans votre conduite à l’égard d’un homme qui vous aime si chèrement, et qui est d’ailleurs si honnête et si sincère ? Si ce n’était vous, je regretterais qu’il y eût quelqu’un au monde qui fût capable de me surpasser dans cette vraie grandeur d’ame qui inspire de la reconnaissance pour les blessures qui nous viennent de la main