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se marier, si nos amis et ces autres importuns voulaient nous laisser libres ? Mais, pour revenir, si c’était à moi que Lovelace se fût adressé, (à moins cependant que je ne me fusse laissé prendre par quelque chose de plus qu’ un goût conditionnel ) dès le premier exemple de ce qu’il a l’audace de nommer son bon naturel , je lui aurais défendu de me voir jamais. " honnête ami, aurais-je pu lui dire, (si j’avais daigné lui dire quelque chose) ce que tu souffres, n’est pas la centieme partie de ce que tu dois t’attendre à souffrir avec moi. Ainsi, prends le congé que je te donne. Je ne veux point de passion qui l’emporte sur celle que tu prétends avoir pour moi. " pour une femme de votre caractère doux et flexible, il reviendrait au même d’être mariée à un Lovelace ou à un Hickman. Dans vos principes d’obéissance, vous avertiriez peut-être un homme doux qu’il a droit de commander ; qu’un mari ne doit pas employer la prière ; et qu’il se dégrade lorsqu’il n’exige pas la soumission qu’on lui a vouée solemnellement à l’autel. Je connais depuis longtems, ma chère, ce que vous pensez de cette partie badine du nœud conjugal, que quelque rusé législateur a glissée dans la formule, pour nous faire un devoir de ce que les hommes n’auraient osé demander comme un droit. Notre éducation et nos usages, dites-vous, nous assujettissent à la protection du brave . J’en conviens, mais n’est-il pas bien glorieux et bien galant dans un brave , de nous garantir de toutes sortes d’insultes, excepté de celles qui nous touchent le plus, c’est-à-dire, des siennes ? Avec quel art Lovelace, dans l’extrait que vous me faites d’une de ses lettres, a-t-il mesuré cette réflexion à votre caractère, les ames généreuses haïssent la contrainte ! Il est plus profond, ma chère, que nous ne nous le sommes figuré. Il sait, comme vous le remarquez, que tous ses mauvais tours ne peuvent être ignorés ; et dans cette persuasion, il en avoue autant qu’il est nécessaire pour adoucir à vos yeux ceux dont vous pouvez être informée par d’autres voies, en vous accoutumant à les entendre sans surprise. On pensera que c’est du moins une marque d’ingénuité ; et qu’avec tous ses vices, il ne saurait être un hypocrite : caractère le plus odieux de tous pour notre sexe, lorsque nous venons à le découvrir ; ne fût-ce que parce qu’il nous donne sujet de douter de la justice des louanges qui nous viennent d’une si mauvaise source, lorsque nous nous persuaderions volontiers qu’elles nous sont dues. Cette ingénuité prétendue fait obtenir à Lovelace les louanges qu’il désire, au lieu du blâme qu’il mérite. C’est un pénitent absous, qui se purge d’un côté pour aller recommencer de l’autre. Un œil favorable ne grossira pas ses fautes ; et lorsqu’une femme se sera persuadée qu’on peut espérer mieux de l’avenir, elle ne manquera pas d’attribuer à la haine ou à la prévention tout ce que la charité pourra teindre de cette couleur. Si les preuves sont trop fortes pour recevoir une interprétation si favorable, elle se payera des espérances qu’on ne cesse pas de lui donner pour l’avenir ; d’autant plus que les croire suspectes, ce serait douter de son propre pouvoir, et peut-être de son mérite. Ainsi, par degrès, elle sera portée à croire les vices les plus éclatans fort bien rachetés par de pures suppositions de vertu. J’ai des raisons, ma chère, et de nouvelles raisons, pour moraliser comme je fais sur le texte que vous m’avez fourni. Mais je ne m’expliquerai