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ai été vivement touchée. Ce spectacle est terrible pour ceux qui sont en bonne santé. On a pitié des souffrances dont on est témoin ; on a pitié de soi-même, en considérant qu’on est destiné au même sort ; et c’est un double sujet d’attendrissement. Madame Larkin s’est soutenue jusqu’au mardi matin, après avoir déclaré à ma mère qu’elle l’avait nommée pour l’exécution de son testament, et qu’elle nous a laissé quelques témoignages d’affection dans les articles. Le reste du jour s’est passé en éclaircissement de succession, par lesquels ma cousine Jenny se trouve avantageusement pourvue. Ainsi nous ne sommes parties que mercredi matin ; d’assez bonne heure à la vérité pour être revenues avant midi, parce qu’il n’y avait plus de bottines qui pussent nous retarder : mais quoique j’aie envoyé sur le champ Robert à l’allée verte, et qu’il m’ait apporté toutes vos lettres jusqu’à mercredi à midi, j’étais si fatiguée, et si frappée d’ailleurs du spectacle que j’avais encore devant les yeux (aussi bien que ma mère, qui en est indisposée contre ce bas monde, quoiqu’elle n’ait aucune raison de haïr la vie), que je n’ai pu vous écrire assez tôt pour renvoyer Robert avant la nuit. Cette lettre, que vous trouverez dans votre promenade du matin, n’étant que l’apologie de mon silence, je ne serai pas long-temps sans vous en écrire une autre. Fiez-vous au soin que je prendrai d’éclairer la conduite de Lovelace dans son hôtellerie. Un esprit aussi remuant que le sien peut être suivi à la trace. Mais ne dois-je pas vous croire à présent de l’indifférence pour sa personne et pour sa conduite ? Car votre demande a précédé l’offense mortelle dont vous vous plaignez. Je n’en ferai pas moins mes informations. Il y a beaucoup d’apparence qu’elles serviront à confirmer vos dispositions implacables. Cependant, si le pauvre homme (aurai-je pitié de lui pour vous, ma chère ?) était privé du plus grand bonheur qu’un mortel puisse recevoir, et qu’avec si peu de mérite il a la présomption de désirer, il aura couru les plus grands périls, gagné des rhumes, hasardé la fièvre, soutenu les plus grandes indignités, et bravé les rigueurs des saisons, sans en tirer aucun fruit ! Votre générosité, du moins, ne vous dit-elle rien en sa faveur ? Pauvre Lovelace ! Je ne voudrais pas vous causer des battemens de cœur, ni rien qui leur ressemble ; pas même un de ces traits de sensibilité qui partent comme l’éclair, et qui sont aussitôt repoussés par une discrétion dont notre sexe n’offrirait pas d’autre exemple. Non, ce n’est pas mon dessein ; mais, pour vous éprouver à vos propres yeux, plutôt que par un impertinent excès de raillerie, que vous ne laisseriez pas de pardonner à l’amitié, je veux imiter ceux qui font sonner une guinée suspecte pour l’éprouver, et vous sonder encore une fois, en répétant : pauvre Lovelace ! Eh bien ! Ma chère, qu’en est-il ? Et, comme dit ma mère à M Hickman, lorsqu’elle lui voit l’air mortifié des rigueurs de sa fille, comment vous trouvez-vous à présent ?



Miss Howe, à Miss Clarisse Harlove.

jeudi matin. Commençons par votre dernière lettre. Mais, étant fort en arrière avec vous, je dois resserrer un peu mes idées.