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l’une que je ne lui communique pas tout ce qui se passe entre nous ; l’autre, qu’elle s’imagine que je vous endurcis contre ce qu’elle appelle votre devoir : et si vous voulez savoir pourquoi elle lui donne ce nom, c’est que, dans ses idées, comme je vous l’ai déjà fait entendre, le tort ne peut jamais être du côté des père et mère, ni la raison de celui des enfans. Vous pouvez juger, par tout ce que je viens d’écrire, avec combien de répugnance je me suis soumise à cet acte d’autorité maternelle, qui m’a paru sans rime et sans raison. Mais l’obéissance étant exigée, il a fallu se rendre, quoique je n’en aie pas été moins persuadée que le bon sens parlait pour moi. Vous m’avez toujours fait des reproches sur ces occasions, et plus que jamais dans vos dernières lettres. Une bonne raison, me direz-vous, c’est que je ne les avais jamais tant mérités. Il faut donc vous remercier de votre correction, et vous promettre même que je m’efforcerai d’en profiter. Mais vous me permettrez de vous dire que vos dernières aventures, méritées ou non, ne sont pas propres à diminuer ma sensibilité. Nous ne sommes arrivées que lundi après midi chez notre vieille mourante, par la faute de M Hickman, qui avait eu besoin de deux grosses heures pour ajuster ses bottines. Vous devinerez bien que pendant la route, mes sentimens se sont un peu exercés sur lui. Le pauvre homme regardait ma mère. Elle était si piquée de mon air chagrin et de mes oppositions au voyage, qu’elle a passé la moitié du chemin sans m’adresser une parole ; et lorsqu’elle a commencé à parler, je voudrais, m’a-t-elle dit, ne vous avoir pas amenée. Vous ne savez ce que c’est que d’obliger. C’est ma faute, et non celle de M Hickman, si vous êtes ici malgré vous. Ensuite ses attentions ont redoublé pour lui, comme il arrive toujours lorsqu’elle s’aperçoit qu’il est maltraité. Mon dieu, ma chère, j’ai moins de tort que vous ne pensez. Le temps où l’on cherche à nous plaire est le meilleur temps de notre vie. Les faveurs sont la ruine du respect. Un juste éloignement sert à l’augmenter. Son essence est l’éloignement. Lorsqu’on veut un peu considérer combien ces traîtres d’hommes se rendent familiers pour un sourire, et de quelle terreur ils sont frappés lorsqu’ils nous voient froncer le sourcil, qui ne prendrait pas plaisir à les tenir dans cet état, et à jouir d’un pouvoir qui doit durer si peu ? Ne me grondez pas de ces sentimens. C’est la nature qui m’a formée telle que je suis. Je m’en trouve bien ; et sur ce point, je vous assure que je ne me changerais pas pour une autre. Ainsi, trève de gravité là-dessus, je vous en supplie. Je ne me donne pas pour une créature parfaite. Hickman prendra patience. De quoi êtes-vous inquiète ? Ma mère ne contrebalance-t-elle pas toutes ses souffrances ? Et puis, s’il se trouve à plaindre dans sa situation, il ne mérite pas d’être jamais plus heureux. Nous avons trouvé cette pauvre femme au dernier soupir, comme nous nous y étions attendues. Quand nous serions arrivées plutôt, il nous aurait été impossible de revenir le même jour. Vous voyez que j’excuse M Hickman autant que je le puis ; et je vous assure néanmoins que je n’ai pas même pour lui votre goût conditionnel . Ma mère est demeurée assise toute la nuit, comptant que chaque soupir de sa vieille amie serait le dernier. Je lui ai tenu compagnie jusqu’à deux heures. Jamais je n’avais vu les approches de la mort dans une personne avancée en âge, et j’en