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Pardon, adorable Clarisse ! Pardonnez tout ce qui échappe au désordre de mon ame. Je crains d’avoir trop écouté le mouvement de ma douleur. J’écris au premier rayon de lumière, qui m’a servi à lire votre lettre, c’est-à-dire, l’arrêt de mon infortune. Je n’ose relire ce que j’ai écrit. Il faut que vous receviez les expressions de mon transport. Elles serviront à vous faire connaître l’excès de mes craintes, et le malheureux pressentiment qui me fait regarder l’oubli de votre première promesse comme le prélude d’un changement bien plus redoutable. D’ailleurs, il ne me reste plus de papier pour recommencer ma lettre dans le lieu obscur où je suis. Tout me semble enséveli dans la même obscurité, mon ame, et toute la nature autour de moi. Ma confiance est dans votre bonté. Si quelque excès de chaleur dans mes termes vous inspire plus de mécontentement que de pitié, vous faites tort à ma passion, et je comprendrai trop bien que je dois être sacrifié à plus d’un ennemi. Pardon encore une fois : je ne parle que de Solmes et de votre frère. Mais si, ne consultant que votre générosité, vous excusez mes transports, et vous me renouvelez la promesse d’une entrevue ; que ce dieu, que vous faites profession de servir, et qui est le dieu de la vérité et des promesses, vous récompense de l’un et de l’autre, et d’avoir rendu la vie, avec l’espérance, à celui qui vous adore. Lovelace. Ma réponse est prête, et j’en joins ici la copie sans aucun regret. Mercredi matin. Je suis étonnée, monsieur, de la liberté de vos reproches. Importunée par vos instances, qui m’ont arraché, contre mon inclination, un consentement pour une entrevue secrette, dois-je être en butte à vos injures et à vos réflexions sur mon sexe, parce que je me suis crue obligée, par la prudence, de changer de résolution ? Et ne m’étais-je pas réservé cette liberté, lorsque je vous ai laissé des espérances auxquelles il vous plaît de donner le nom de promesse ? Je connaissais par quantité d’exemples votre caractère impatient ; mais il est heureux pour moi d’en avoir un qui m’apprenne que votre considération ne va pas plus loin pour moi que pour les autres. Deux motifs doivent vous avoir ici gouverné ; une facilité que je me reproche, et votre propre présomption : le second, qui vous a fait abuser de l’autre, m’alarme trop sérieusement, pour ne me pas faire souhaiter que votre dernière lettre soit la conclusion de toutes les peines que vous avez essuyées de la part, ou à l’occasion de Clarisse Harlove. Je me crois sûre de votre approbation, ma chère, lorsque je mets un peu de fermeté dans mes discours ou dans mes lettres. Malheureusement je n’ai que trop de raison d’en user, puisque les personnes avec lesquelles je suis aux mains mesurent moins leur conduite avec moi par la décence et la justice, que par l’opinion qu’ils ont de ma facilité. Jusqu’à ces derniers tems, on a loué la douceur de mon caractère, mais l’éloge est toujours venu de ceux qui ne m’ont jamais donné sujet de leur faire le même compliment. Vous m’avez fait observer que le ressentiment ne m’étant point naturel, il me sera difficile d’en conserver long-temps.