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Mardi à 11 heures. J’arrive du bûcher, où je viens de porter mon billet. Quelle diligence que la sienne ! Il l’attendait sans doute ; car à peine avois-je fait quelque pas pour revenir, que mon cœur me reprochant je ne sais quoi, je suis retournée pour le reprendre, dans la vue de le relire et de considérer encore si je devais le laisser partir. J’ai été surprise de ne le plus trouver. Suivant toute apparence, il n’y avait qu’un mur de peu d’épaisseur entre M Lovelace et moi, lorsque j’ai placé mon billet sous la brique. Je suis revenue très-mécontente de moi-même. Cependant, il me semble, ma chère, que je ne ferai pas mal de le voir. Si je m’obstine à le refuser, il est capable de prendre quelque mesure violente. La connaissance qu’il a du traitement que je reçois à son occasion, et par lequel on ne se propose que de lui arracher toutes ses espérances, peut le pousser au désespoir. Sa conduite, dans une occasion où il m’avait surprise avec l’avantage de l’heure et du lieu, ne me laisse à craindre que d’être aperçue du côté du château. Ce qu’il demande n’est pas contraire à la raison, et ne peut nuire à la liberté de mon choix. Il n’est question que de l’assurer, de ma propre bouche, que je ne serai jamais la femme d’un homme que je hais. Si je ne suis pas sûre de pouvoir descendre au jardin sans être aperçue, il faut qu’il s’attende à se trouver seul au rendez-vous. Toutes ses peines et les miennes n’ont pas d’autre source que ses propres fautes. Cette pensée, quelque éloignée que je sois de la tyrannie et de l’arrogance, diminue beaucoup à mes yeux le prix de ce qu’il souffre ; d’autant plus que mes souffrances, qui viennent de la même cause, surpassent assurément les siennes. Betty me confirme que c’est jeudi qu’il faut partir. Elle a reçu ordre de faire ses préparatifs et de m’aider pour les miens.



Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

mardi à 3 heures, 28 mars. Ce n’est pas la première fois que je vous ai entretenue des insolences de Mademoiselle Betty ; et dans une autre situation, je me ferais peut-être un amusement de vous raconter l’épreuve où elle a mis aujourd’hui ma modération. Mais je ne me sens le courage de détacher de cette scène que ce qui a rapport au véritable sujet de mes peines. à l’occasion de quelques marques d’impatience, que les effronteries de cette fille m’ont arrachées, elle n’a pas fait difficulté de me répondre " que, lorsque les jeunes demoiselles s’écartaient de leur devoir, il n’était pas surprenant qu’elles ne vissent pas de bon œil une personne qui faisait le sien. " je me suis reproché de m’être exposée à cette brutale hardiesse, de la part d’une créature dont je connaissais le caractère. Cependant, ayant jugé que j’avais quelque utilité à tirer de la disposition où je la voyais, je lui ai dit froidement, dans le dessein de l’exciter un peu à parler, que je comprenais ce qu’elle nommait son devoir, par l’idée qu’elle m’en donnait elle-même ; et que j’étais fort obligée à ceux de qui elle l’avait reçue. Personne n’ignorait, m’a-t-elle repliqué, que je savais prendre un ton froid pour dire des choses piquantes : mais elle aurait souhaité que j’eusse