Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/259

Cette page n’a pas encore été corrigée

d’attendre mon choix et le retour de M Morden, pour me demander le prix de sa patience. " il est impossible, dit-il, qu’une, au moins, de ces méthodes, n’ait pas quelques succès. Il observe que la présence des personnes même pour lesquelles on est mal disposé, adoucit les ressentimens, qui s’aigrissent au contraire par l’absence. " là-dessus, il recommence ses importunités pour m’engager à l’entrevue qu’il désire. " ses affaires l’appellent nécessairement à Londres ; mais il ne peut quitter l’incommode logement où il se tient caché dans un déguisement indigne de lui, sans être absolument certain que je ne me laisserai point abattre par la force ou par d’autres voies, et que je suis délivrée des insultes de mon frère. L’honneur ne lui en fait pas une loi moins indispensable que l’amour, lorsqu’on publie dans le monde que c’est pour lui que je suis si maltraitée. Mais une réflexion, dit-il, qu’il ne peut s’empêcher de faire, c’est que mes parens n’auraient aucune raison de m’ ôter la liberté par rapport à lui, s’ils savaient comment je le traite lui-même, et à quelle distance je le tiens de moi. Une autre réflexion encore, c’est que, par cette conduite, ils paroissent persuadés qu’il a droit à d’autres traitemens, et qu’ils le croient assez heureux pour les recevoir ; tandis qu’au fond, j’en use avec lui comme ils le doivent souhaiter dans le mouvement de leur haine, à l’exception de la correspondance dont je l’honore, et qui lui est si précieuse, qu’elle lui a fait supporter avec joie mille sortes d’indignités. " il renouvelle ses promesses de réformation. Il sent, dit-il, qu’il a déjà fait une longue et dangereuse course, et qu’il est temps de revenir aux bornes dont il s’est écarté. C’est par la seule conviction, s’il faut l’en croire, qu’un homme qui a mené une vie trop libre est ramené à la sagesse, avant que l’ âge ou les infirmités viennent l’éclairer sur son devoir. " tous les esprits généreux, ajoute-t-il, ont de l’aversion pour la contrainte. Il s’arrête sur cette observation, en regrettant de devoir vraisemblablement toutes ses espérances à cette contrainte ; à cette contrainte, qu’il appelle peu judicieuse , et nullement à mon estime. Cependant il se flatte que je lui fais quelque mérite de son aveugle soumission pour toutes mes volontés ; de sa patience à souffrir les outrages continuels de mon frère, qui s’attaquent à sa famille comme à lui ; de ses veilles, et des dangers auxquels il s’expose, sans égard pour les rigueurs de la saison : circonstance qu’il ne relève qu’à l’occasion du désordre de sa santé, sans quoi, il ne rabaisserait pas la noblesse de sa passion par un vil retour d’attention sur lui-même. " je ne puis dissimuler, ma chère, que ses incommodités m’affligent. Ici, je crains de vous demander ce que vous auriez fait dans la situation où je suis. Mais ce que j’ai fait est fait. En un mot, j’ai écrit. J’ai écrit, ma chère, que je consentais, s’il était possible, à le voir demain au soir, entre neuf et dix heures, près de la grande cascade, au fond du jardin, et que j’aurais soin de tirer le verrou, afin qu’il pût ouvrir la porte avec sa clef ; mais que, si l’entrevue me paroissait trop difficile, ou si je changeais de pensée, je lui en donnerais avis par un autre billet, qu’il devait attendre jusqu’à l’entrée de la nuit.