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donné ordre à Betty de lui apporter une réponse de bouche. Mais je venais de finir la copie de celle que je vous envoie. Betty a fait difficulté de s’en charger. Cependant elle s’est laissé engager, par un motif auquel les dames Betty ne résistent point. Que vous me causez de joie, mon très-cher oncle, par l’excès de votre bonté ! Une lettre si tendre ! Si paternelle ! Si douce pour un cœur blessé ! Si différente enfin de tout ce que j’ai éprouvé depuis quelques semaines ? Que j’en suis touchée ! Ne parlez pas, monsieur, de ma manière d’écrire. Votre lettre m’a plus attendrie que personne n’a pu l’être des miennes, ou de mes discours et de mes tristes regards. Elle m’a fait souhaiter, du fond du cœur, de pouvoir mériter votre visite aux conditions que vous désirez, et de me voir conduire aux pieds de mon père et de ma mère par un oncle dont j’adore la bonté. Je vous dirai, mon très-cher oncle, à quoi je suis résolue pour faire ma paix. M Solmes préférerait sûrement ma sœur à une créature dont l’aversion est si déclarée pour lui : comme j’ai raison de croire que le principal, ou du moins un de ses principaux motifs, dans les intentions qu’il a pour moi, est la situation de la terre de mon grand-père, qui est voisine des siennes, je consens à résigner tous mes droits ; et cette résignation subsistera solidement, parce que je m’engagerai à ne me marier jamais. La terre sera pour ma sœur et pour ses héritiers à perpétuité. Je n’en aurai point d’autre qu’elle et mon frère. Je recevrai de mon père une pension annuelle, aussi petite qu’il voudra me l’accorder ; et si jamais j’ai le malheur de lui déplaire, il sera le maître de la reprendre. Cette proposition ne sera-t-elle pas acceptée ? Elle doit l’être. Elle le sera sans doute. Je vous demande en grâce, monsieur, de la faire promptement, et de l’appuyer de votre crédit. Elle répond à toutes les vues. Ma sœur marque une haute opinion de M Solmes. Je suis fort éloignée d’en avoir autant, dans le jour sous lequel il m’est proposé. Mais le mari de ma sœur aura droit à mon respect, et je lui en promets beaucoup à ce titre. Si cette offre est acceptée, accordez-moi, monsieur, l’honneur d’une visite, et faites-moi le plaisir inexprimable de me conduire aux pieds de mon père et de ma mère. Ils reconnaîtront, dans les effusions de mon cœur, la vérité de mon respect et de ma soumission. Je me jetterai aussi dans les bras de ma sœur et de mon frère, qui me trouveront la plus obligeante et la plus affectionnée de toutes les sœurs. J’attends, monsieur, une réponse qui fera le bonheur de ma vie, si elle est conforme aux vœux sincères de votre très-humble, etc. Clarisse Harlove. Lundi, à midi. Je commence, ma chère, à me flatter sérieusement que ma proposition sera goûtée. Betty m’apprend qu’on a fait appeler mon oncle Antonin et ma tante Hervey, sans qu’il soit question de M Solmes ; c’est un fort bon augure. Avec quelle satisfaction ne résignerai-je pas ce qui m’attire tant d’envie ? Quelle comparaison pour moi, entre un avantage de la fortune et celui qui me reviendra d’un si léger sacrifice, la tendresse et la faveur de tous mes proches ! Une tendresse et une faveur, dont j’ai fait, depuis dix-huit ans, ma gloire et mes délices ! Quel charmant prétexte pour rompre avec M Lovelace ! Et lui-même, n’en aura-t-il pas, peut-être, beaucoup plus de facilité à m’oublier ?