Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/250

Cette page n’a pas encore été corrigée

sage d’aiguiser ses dents et de vous exposer à ses morsures ? Vous voyez que je vous écris en homme impartial, qui vous aime encore. Mais, depuis qu’ayant déployé tous vos talens, vous n’avez épargné personne, et que vous avez attendri tout le monde sans l’avoir été vous-même, vous nous avez mis dans la nécessité de tenir ferme et de nous lier plus étroitement. C’est ce que j’ai déjà comparé à une phalange en ordre de bataille . Votre tante Hervey vous défend d’écrire, par la même raison qui doit m’empêcher de vous le permettre. Nous craignons tous de vous voir, parce que nous savons que vous nous feriez tourner à tous l’esprit. Votre mère vous redoute si fort, que, vous ayant crue prête une fois ou deux à forcer l’entrée de sa chambre, elle s’y est enfermée soigneusement ; persuadée, comme elle est, qu’elle ne doit point se rendre à vos sollicitations, et que vous êtes résolue de ne pas écouter les siennes. Déterminez-vous seulement, ma très-chère Miss Clary, à faire quelques pas pour nous obliger ; et vous verrez avec quelle tendresse nous nous empresserons, tour-à-tour, de vous serrer contre nos cœurs transportés de joie. Si l’un des deux prétendans n’a pas l’esprit, les qualités et la figure de l’autre, comptez que l’autre est le plus mauvais cœur qu’il y ait au monde. L’affection de vos parens, avec un mari sage, quoique moins poli, n’est-elle pas préférable à un débauché, de quelque agrément que sa figure puisse être pour les yeux ? Vos admirables talens vous feront adorer de l’un ; au lieu que l’autre, qui a les mêmes avantages que vous dans son sexe, n’attachera pas grand prix aux vôtres ; et souvent les maris de cette espèce sont les plus jaloux de leur autorité avec une femme d’esprit. Vous aurez du moins un homme vertueux. Si vous ne l’aviez pas traité d’un air si outrageant, il vous aurait fait frémir de ce qu’il vous aurait appris de l’autre. Allons, ma chère nièce, faites tomber sur moi l’honneur de vous avoir persuadée. J’en partagerai le plaisir, et je puis dire encore une fois l’honneur, avec votre père et votre mère. Toutes les offenses passées s’éteindront dans l’oubli. Nous nous engagerons tous, pour M Solmes, que jamais il ne vous donnera aucun juste sujet de plainte. Il sait, dit-il, quel trésor obtiendra l’homme que vous honorerez de votre faveur ; et tout ce qu’il a souffert ou qu’il pourra souffrir, lui paraîtra léger à ce prix. Chère et charmante enfant, rendez-vous, et rendez-vous de bonne grâce, il le faut, de bonne grâce ou non. Je vous assure qu’il le faut. Vous ne l’emporterez pas sur un père, une mère, des oncles, et sur tout le monde ; comptez là-dessus. J’ai passé une partie de la nuit à vous écrire. Vous ne sauriez vous imaginer combien je suis touché en relisant votre lettre et en vous écrivant celle-ci. Cependant je serai demain, de bonne heure, au château d’Harlove. Si mes instances ont quelque pouvoir sur votre cœur, faites-moi dire aussitôt de monter à votre appartement. Je vous donnerai la main pour descendre ; je vous présenterai aux embrassemens de toute la famille ; et vous reconnaîtrez que vous nous êtes plus chère que vous ne paroissez vous l’être figuré dans vos dernières préventions. Cette lettre vous vient d’un oncle qui a fait long-temps ses délices de cette qualité. Jules Harlove. Une heure après mon oncle m’a fait demander si sa visite me serait agréable aux conditions qu’il m’avait marquées dans sa lettre. Il avait