Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/248

Cette page n’a pas encore été corrigée

Vous n’ignorez pas quelle affliction vous causez à tout le monde, particulièrement à votre affectionnée tante. Hervey. N’osant lui écrire après cette défense, j’ai pris une liberté plus hardie. J’ai écrit quelques lignes à ma mère, pour implorer sa bonté ; et pour l’engager, si je dois partir, à me procurer la permission de me jeter aux pieds de mon père et aux siens, sans autres témoins qu’eux-mêmes, dans la seule vue de leur demander pardon du chagrin que je leur ai causé, et de recevoir, avec leur bénédiction, un ordre de leur propre bouche pour mon départ et pour le tems. Quelle nouvelle hardiesse ! Rendez-lui sa lettre, et qu’elle apprenne à obéir : c’est la réponse de ma mère ; et la lettre est revenue sans avoir été ouverte. Cependant, pour satisfaire mon cœur et mon devoir, j’ai écrit aussi quelques lignes à mon père, dans la même vue, c’est-à-dire, pour le supplier de ne me pas chasser de la maison paternelle, sans m’avoir accordé sa bénédiction. Mais on m’a rapporté cette lettre, déchirée en deux pièces, sans avoir été lue. Betty, me la montrant d’une main, et tenant l’autre levée d’admiration, m’a dit : voyez, miss ! Quelle pitié ! Il n’y a que l’obéissance qui puisse vous sauver. Votre père me l’a dit à moi-même. Il a déchiré la lettre, et m’en a jeté les morceaux à la tête. Dans une situation si désespérée, je n’ai pas cru devoir m’arrêter même à ce rebut. J’ai repris la plume pour m’adresser à mon oncle Harlove, et j’ai joint à ma lettre, sous une même enveloppe, celle que ma mère m’avait renvoyée, et les deux parties de celle que mon père avait déchirée. Mon oncle montait dans son carrosse lorsqu’il les a reçues. Je ne puis savoir avant demain quel aura été leur sort. Mais voici la copie de celle qui est pour lui. à M Jules Harlove.

monsieur, mon très-cher et très-honoré oncle, il ne me reste que vous à qui je puisse m’adresser avec quelque espérance, pour obtenir du moins, que mes très-humbles supplications soient reçues, et qu’on me fasse la grâce de les lire. Ma tante Hervey m’a donné des ordres qui ont besoin de quelque explication ; mais elle m’a défendu de lui répondre. J’ai pris la liberté d’écrire à mon père et à ma mère. L’une de mes deux lettres a été déchirée, et toutes deux m’ont été renvoyées sans avoir été ouvertes. Je m’imagine, monsieur, que vous ne l’ignorez pas. Mais, comme vous ne pouvez savoir ce qu’elles contiennent, je vous supplie de les lire toutes deux, afin que vous puissiez rendre témoignage qu’elles ne sont pas remplies d’invocations et de plaintes, et qu’elles n’ont rien qui blesse mon devoir. Permettez-moi, monsieur, de remarquer que, si l’on est sourd aux expressions de ma douleur, jusqu’à refuser d’entendre ce que j’ai à dire, et de lire ce que j’écris, on pourra regretter bientôt de m’avoir traitée si durement. Daignez m’apprendre, monsieur, pourquoi l’on s’obstine à vouloir m’envoyer chez mon oncle Antonin, plutôt que chez vous, chez ma tante, ou chez tout autre ami. Si c’est dans l’intention que j’appréhende, la vie me deviendra insupportable. Je vous demande en grâce aussi, de me faire savoir quand je dois être chassée de la maison. Mon cœur m’avertit fortement que, si je suis contrainte une fois d’en sortir, ce sera pour ne la revoir jamais. Le devoir m’oblige néanmoins de vous déclarer que l’humeur ou le